Trente ans après les accords ADPICS (Aspects des droits de PI qui touchent au commerce), dont l’Art.27(3) prévoyait que ses membres pouvaient exclure de la brevetabilité les méthodes de diagnostic, qu’en est-il ? Qu’entend-t-on par ‘méthode de diagnostic’ exclue selon les pays ? Quels sont les pays qui sont favorables à la protection par brevet des méthodes de diagnostic, ceux qui les excluent et ceux dont la pratique évolue au gré des innovations et décisions de jurisprudence ?
Cet article examine la situation actuelle dans plusieurs régions du monde (Amérique du Nord, Europe, Afrique du Sud, Asie et Océanie), et vous donne quelques conseils pour adapter votre stratégie PI si vous développez des innovations dans le diagnostic médical.
Aux États-Unis, les revendications portant sur des méthodes de diagnostic sont généralement considérées comme inéligibles à la protection par brevet en vertu de l’article 35 USC §101, car elles sont souvent vues comme cherchant à protéger un phénomène naturel (‘natural law’). Cependant, il existe des exceptions et des stratégies pour sécuriser la protection des méthodes de diagnostic aux US :
- Inclure au moins une étape concrète/physique (ex : collecte d’échantillons, mesure de niveaux d’analytes, utilisation d’appareils spécifiques) ;
- Ajouter au moins un élément non conventionnel (ex : nouvelle technique de mesure) ; et/ou
- Coupler des caractéristiques de diagnostic avec une étape de traitement (ex : méthode comprenant le diagnostic d’un patient suivi du traitement du patient d’une manière spécifique basée sur le diagnostic).
Par ailleurs, les dispositifs ou produits utilisés dans les méthodes de diagnostic sont brevetables, sous réserve qu’il ne s’agisse pas de produits de la nature. Ainsi, un anticorps ou un acide nucléique naturel n’est pas brevetable, même lorsqu’il est isolé de son environnement, mais un anticorps ou un acide nucléique couplé à un marqueur détectable tel qu’un fluorophore est brevetable.
Au Canada, et comme indiqué dans notre précédent article, depuis 2020, il est possible de protéger les méthodes de diagnostic à condition qu'elles incluent des étapes physiques. Par exemple, une méthode comprenant une étape de détection ou de quantification d'un analyte dans un échantillon biologique est brevetable mais une méthode dans laquelle le diagnostic repose simplement sur l’analyse de données préalablement obtenues ne l'est pas.
En Europe, la situation est également complexe, mais les règles sont différentes de celles des États-Unis. Les méthodes de diagnostic pratiquées sur le corps humain ou animal sont exclues de la brevetabilité selon l’article 53c) de la Convention sur le brevet européen (CBE). La décision G1/04 de la Grande chambre de recours et les Directives pour l’Examen précisent que sont exclues de la brevetabilité seulement les méthodes de diagnostic qui comprennent toutes les étapes suivantes :
- La collecte des résultats (phase d’examen),
- La comparaison de ces résultats avec des valeurs de référence,
- La détection d’une différence significative lors de la comparaison, et
- L’attribution de cette différence à un profil clinique particulier (phase de décision),
Les étapes de nature technique étant pratiquées sur le corps humain ou animal.
Supprimer l’une des étapes 1) à 4) pour sortir de l’exclusion peut parfois s’avérer impossible si cette étape constitue une caractéristique technique essentielle à la mise en œuvre de l’invention.
Cependant, lorsque supprimer l’une des étapes 1) à 4 est possible, la méthode est alors protégeable. De plus, si les étapes de nature technique ne sont pas pratiquées sur le corps humain ou animal, alors la méthode ne rentre pas dans le champ de l’exclusion et est par conséquent brevetable.
Ainsi, il est tout à fait possible :
- De protéger les méthodes de diagnostic in vitro et ex-vivo, c’est-à-dire appliquées sur des échantillons préalablement prélevés du corps humain ou animal (ex T1920/21 : méthode de mesure du contenu en carbone isotope dans un échantillon respiratoire collecté dans un sac) ;
- De protéger les méthodes d’acquisition de données, incluant la collecte et l’analyse de données sans aboutir à un diagnostic clinique ;
- De protéger les produits, compositions et kits de diagnostic utilisés dans les méthodes de diagnostic (ceux-ci sont explicitement exclus de l’exclusion) ; et/ou
- D’explorer les possibilités de reformulation des revendications des méthodes de diagnostic pour sécuriser la protection (ex T505/19 : un anticorps pour une utilisation dans une méthode de diagnostic in vivo d’une maladie inflammatoire du système nerveux central).
En Nouvelle-Zélande, les méthodes de diagnostic sur le corps humain sont exclues de la brevetabilité, mais les méthodes in vitro ou ex-vivo sont éligibles, comme en Europe, tout comme les méthodes de diagnostic appliquée au corps des animaux non-humains.
En Afrique du Sud, les méthodes de diagnostic réalisées sur les humains ou les animaux sont généralement considérées comme inéligibles pour une protection par brevet, mais les substances et compositions destinées à être utilisées dans une méthode de diagnostic sont éligibles. Mais nous n’avons pas le recul suffisant sur l’acceptabilité de méthodes de diagnostic in vitro et ex-vivo : en effet, l’Office sud-africain des brevets ne procède pas à un examen approfondi des demandes de brevet pour déterminer si les inventions revendiquées satisfont aux exigences de brevetabilité. Cet examen au fond est effectué par un tribunal lors d’une procédure de contrefaçon ou de révocation, et il n’y a pas à notre connaissance de décisions de jurisprudence sur le sujet particulier de la brevetabilité des méthodes de diagnostic, et en particulier de méthodes de diagnostic in vitro et ex-vivo. Par conséquent et dans l’attente de décisions futures, nos confrères recommandent de sécuriser ces aspects en adaptant les revendications à ce qui serait brevetable dans d’autres juridictions, et notamment en Europe (cf supra).
En Australie, et comme indiqué dans notre précédent article, les méthodes de diagnostic sont brevetables. A method for diagnosing (disease Y) comprising measuring/detecting (marker X) in (body/tissue/sample). C’est donc le pays le moins restrictif parmi ceux étudiés dans cet article, à considérer dans sa stratégie de protection PI.
En Asie, il existe une exclusion de la brevetabilité des méthodes de diagnostic dans la plupart des juridictions, mais ce que couvre l’exclusion varie selon la juridiction.
Au Japon, les méthodes de diagnostic pratiquées sur le corps humain sont exclues de la brevetabilité (l’exclusion ne s’applique pas aux méthodes de diagnostic vétérinaires). On peut néanmoins protéger les produits utilisés dans la méthode de diagnostic, les méthodes d’analyse de données, ainsi que les procédés de traitement d’un échantillon qui a été extrait du corps humain (cellules, tissus), sous réserve que le procédé ne comprenne pas la phase diagnostic stricto sensu et que lesdits échantillons traités ne soient pas retournés dans le même corps (sinon, il s’agirait alors de méthodes de traitement, également exclues de la brevetabilité).
En Chine, les méthodes de diagnostic ne peuvent pas être protégées par brevet. Une méthode de diagnostic y est entendue comme étant pratiquée sur un corps vivant humain ou animal, et sa finalité immédiate est d’obtenir un diagnostic d’une maladie ou d’un état pathologique. Si la méthode est appliquée sur des échantillons in vitro mais que sa finalité est la même que précitée, la méthode est également exclue, contrairement à la situation en Europe. Rentrent également dans la catégorie des méthodes de diagnostic les méthodes pour évaluer le risque de souffrir d’une maladie (pas encore présente) et les méthodes pour prédire l’efficacité thérapeutique d’un médicament.
Là encore, et malgré ce contexte plus restrictif que dans les autres pays étudiés, il existe une stratégie pour sortir de l’exclusion : reformuler les revendications de méthodes de diagnostic en utilisation d’un composé X pour la préparation d’un kit utilisé dans le diagnostic d’une maladie.
En Inde, les méthodes de diagnostic sont exclues. Une méthode de diagnostic est définie comme une méthode pour identifier l’existence ou non d’une maladie ou d’un état pathologique pour le traitement de sujets humains. L’exclusion ne s’applique donc pas aux méthodes de diagnostic vétérinaires.
Chez l’homme, l’exclusion n’est pas limitée aux diagnostics in-vivo. Cela étant, l’Office indien aurait accordé des brevets sur des procédés in-vitro (il y aurait donc des inconsistances dans la détermination faite par l’office indien sur ce qui rentre ou non dans les méthodes de diagnostic, potentiellement en faveur des déposants).
Au Vietnam, les méthodes de diagnostic ne sont pas éligibles à une protection par brevet. Il s’agit de méthodes qui (i) sont conduites sur des organismes vivants (humain ou animal) ou in vitro sur des échantillons humains ou animaux et (ii) dont l’objectif premier est de diagnostiquer une maladie ou un état pathologique. Le contexte est donc assez restrictif, comme en Chine. Nous recommandons donc de protéger les produits et kits utilisés dans les méthodes de diagnostic, ainsi que les méthodes pour obtenir des résultats intermédiaires qui ne permettent pas de faire directement un diagnostic. Ainsi, pour maximiser les chances d'obtenir une protection par brevet dans ces différents pays, nous recommandons, lorsque l’invention s’y prête et selon la loi locale, de protéger les dispositifs ou produits utilisés dans les méthodes de diagnostic, ainsi que les méthodes pour obtenir des résultats intermédiaires qui ne permettent pas de faire un diagnostic, en parallèle des méthodes de diagnostic elles-mêmes. Celles-ci peuvent néanmoins être protégées dans un certain nombre de pays, parfois sous réserve d’une reformulation des revendications.
La protection des méthodes de diagnostic varie donc largement selon les juridictions. En synthèse sur les pays analysés, l’Australie est le pays le plus favorable à la protection par brevets des méthodes de diagnostic. L’Europe, Le Canada, l’Afrique du Sud, la Nouvelle Zélande et le Japon sont favorables aux méthodes d’analyses de données, aux produits utilisés dans les méthodes de diagnostic, ainsi qu’aux méthodes de diagnostic in vitro et ex-vivo (sauf le Japon ; à suivre pour l’Afrique du Sud). Aux Etats-Unis, les méthodes de diagnostic doivent comprendre des étapes techniques et non conventionnelles pour être éligibles. Pour finir, la Chine, l’Inde et le Vietnam sont les moins favorables (même si quelques cas de méthodes de diagnostic in vitro ont été accordées) ; il est recommandé de privilégier la protection des produits utilisés dans les méthodes.
La croissance du marché des auto-tests et des technologies MedTech souligne l'importance de la protection par PI pour les entreprises innovantes dans le diagnostic médical. Nos équipes Regimbeau sont à votre disposition pour naviguer dans ce paysage complexe et protéger au mieux vos innovations dans ce domaine.
Publié par
Armelle Leonard
Associée
Responsable des Bureaux de Montpellier et de Toulouse