Décision G2/21 : Les données post-dépôt pour la reconnaissance de l’activité inventive sont-elles admissibles?

La Grande Chambre de recours a rendu sa décision G2/21 relative à la question de la prise en compte de données publiées après la date de priorité ou de dépôt, soumises comme preuve de l’existence d’un effet technique, pour la reconnaissance d’une activité inventive.

Pour mémoire, les trois questions suivantes avaient été posées à la Grande Chambre de Recours « Si pour la reconnaissance de l’activité inventive, le titulaire du brevet s’appuie sur un effet technique et soumet des données pour preuve de cet effet qui ont été publiées après la date de dépôt :

 1- Faut-il faire exception au principe de libre appréciation des preuves au sens que les données post-dépôts doivent être ignorées car la preuve de l’effet technique repose exclusivement sur ces données ?

2- Si oui (les données doivent être ignorées si elles constituent la seule preuve de l’effet technique), ces données peuvent-elles être prise en compte si l’effet technique était plausible pour l’homme du métier à la date de dépôt au vu de ses connaissances générales et du contenu de la demande telle que déposée (plausibilité ab initio) ?

3- Si oui à la première question (les données doivent être ignorées si elles constituent la seule preuve de l’effet technique), ces données peuvent-elles être prise en compte si l’homme du métier la date de dépôt au vu de ses connaissances générales et du contenu de la demande telle que déposée n’avait aucune raison de considérer ledit effet technique non-plausible (défaut de plausibilité ab initio) ? »

À la première question, et comme déjà énoncé dans un avis préliminaire que nous avions commenté ici, la Grande Chambre de Recours exprime tout d’abord clairement qu’il n’est pas question de faire exception au principe de libre appréciation des preuves.

Ainsi, les données post-dépôt comme preuve d’un effet technique soutenant l’activité inventive de l’objet des revendications ne peuvent être écartées au seul motif que ces données n’ont pas été rendues publiques avant la date de dépôt mais ont été déposées après cette date.

La Grande Chambre de Recours a également exposé des critères d’appréciation d’un effet technique allégué dans le cadre de l’analyse de l’activité inventive, et la prise en compte ou non de données post-dépôt pour le démontrer.

Alors que dans son avis préliminaire, la Grande Chambre de Recours semblait préférer l’approche de défaut de plausibilité ab initio, dans la présente décision, elle précise que la « plausibilité » n’est qu’un terme générique qui ne constitue pas un concept juridique distinct de ce que nous connaissons déjà, et encore moins un critère de brevetabilité ou de validité des brevets européens.

Pour la Grande Chambre de Recours, la question au cœur du débat est plutôt de savoir dans quelle mesure il est possible de s’appuyer sur un effet technique allégué pour démontrer que l’objet revendiqué implique une activité inventive.

La réponse est la suivante: « Le titulaire ou le demandeur peut s’appuyer sur un effet technique pour l’activité inventive dès lors que l’homme du métier, au vu de ses connaissances générales et du contenu de la demande telle que déposée, aurait considéré ledit effet comme étant compris dans l’enseignement technique de la demande et « effectivement produit par[1] » l’invention telle que divulguée à l’origine ».

Ainsi, dans le cadre de l’analyse de l’activité inventive, le demandeur pourra s’appuyer sur l’existence d’un effet technique allégué à la condition qu’il soit :

1) initialement compris dans l’enseignement technique de la demande telle que déposée, et cela même à un stade ultérieur, et même si ledit effet technique doit être reformulé vis-à-vis d’un nouvel art antérieur,

2) effectivement produit par la même invention que celle divulguée à l’origine, puisque l’effet technique ne change pas la nature de l’invention revendiquée.

La prise en compte de données post-dépôt ne serait donc pas liée à un critère de plausibilité de l’obtention de l’effet technique allégué selon la Grande Chambre de Recours, mais dépendrait de ce que l’homme du métier comprendrait comme étant l’enseignement technique de la demande telle que déposée, et compte tenu de ses connaissances générales à la date de dépôt.

La décision de la Grande Chambre de Recours reste toutefois ouverte à l’interprétation quant aux critères applicables pour déterminer si un effet technique est effectivement « compris dans l’enseignement technique de la demande » et « produit par la même invention que celle divulguée à l’origine ».

Il est probable que l’interprétation de ces critères par les Chambres de Recours divergera fortement selon le domaine technique de l’invention.

La Grande Chambre reconnait d’ailleurs le caractère abstrait des critères énoncés et laisse la responsabilité aux chambres de recours de l’appliquer et de statuer sur chaque cas en fonction des faits.


[1] « embodied » dans la décision originale en anglais

Publié par

Margaux Beretta, Ph.D

Conseil en Propriété Industrielle
Mandataire en Brevets Européens

Ludovic Le Guen