Données post-dépôt et activité inventive (affaire G2/21) : La grande chambre de recours de l’OEB donne son opinion préliminaire

Est-il vraiment raisonnable de déposer une demande de brevet à un stade très précoce de développement d’une invention, avec peu ou pas de données expérimentales ? L’opinion préliminaire de la Grande Chambre de Recours de l’OEB, récemment rendue publique, suggère qu’il convient de rester prudent, malgré une certaine tolérance vis-à-vis de la fourniture de données postérieures au dépôt.

Paris, le 19 octobre 2022 – Est-il vraiment raisonnable de déposer une demande de brevet à un stade très précoce de développement d’une invention, avec peu ou pas de données expérimentales ? L’opinion préliminaire de la Grande Chambre de Recours de l’OEB (accessible ici), récemment rendue publique, suggère qu’il convient de rester prudent, malgré une certaine tolérance vis-à-vis de la fourniture de données postérieures au dépôt.

Nous avons discuté précédemment la saisine de la Grande Chambre de Recours de l’OEB (affaire G2/21 « plausibility ») concernant les cas dans lesquels des données postérieures au dépôt peuvent être prises en compte dans le cadre de l’analyse de l’activité inventive.

La Grande Chambre de Recours a maintenant transmis son opinion préliminaire, dans l’attente de la procédure orale prévue le 24 novembre 2022. Une telle opinion préliminaire n’est pas contraignante, mais donne déjà quelques indications quant aux réponses qui seront apportées aux questions posées, rappelées ci-dessous :

“If for acknowledgement of inventive step the patent proprietor relies on a technical effect and has submitted data or other evidence to proof such effect, such data or other evidence having been generated only after the priority or filing date of the patent (post-published data):

  1. Should an exception to the principle of free evaluation of evidence (see e.g. G 1/21 reasons 31) be accepted in that the post-published data must be disregarded on the ground that the proof of the effect rests exclusively on such post-published data?
  2. If the answer is yes (post published data must be disregarded if the proof of the effect rests exclusively on these data): can post-published data be taken into consideration if based on the information in the patent application the skilled person at the relevant date would have considered the effect plausible (ab initio plausibility)?
  3. If the answer to the first question is yes (post published data must be disregarded if the proof of the effect rests exclusively on these data): can post-published data be taken into consideration if based on the information in the patent application the skilled person at the relevant date would have seen no reasons to consider the effect implausible (ab initio implausibility)?”

Dans son opinion préliminaire, la Grande Chambre de Recours confirme tout d’abord la recevabilité de la saisine et la pertinence des questions posées.

Concernant ces questions, elle semble à ce stade répondre « non » à la première question. Elle considère en effet que le principe de la libre appréciation des preuves est une règle clé des procédures devant l’OEB et ses chambres de recours, et ne permet pas d’écarter par principe des données postérieures soumises comme support exclusif de l’effet technique sur lequel reposerait l’appréciation de l’activité inventive.

Bien que les questions 2 et 3 n’appellent en théorie de réponse qu’en cas de réponse positive à la première question, la Grande Chambre de Recours entend cependant donner quelques directives concernant les cas dans lesquels les données postérieures devraient ou non être prises en compte, mais uniquement dans le cadre de l’analyse de l’activité inventive.

A ce stade, elle estime que des données postérieures devraient être prises en compte si, sur la base de l’enseignement de la demande telle que déposée et de ses connaissances générales, la personne du métier n’aurait pas de raison de douter de l’existence de l’effet technique allégué par le déposant pour justifier l’activité inventive des revendications. Dans le cas contraire, la prise en compte des données postérieures serait contestable.

L’opinion exprimée à ce stade n’est encore que préliminaire et pourrait évoluer suite aux réponses écrites susceptibles d’être déposées et à la procédure orale prévue le 24 novembre 2022. Toutefois, parmi les trois courants de jurisprudence existant à ce jour sur cette question (voir notre précédent article ici), l’approche retenue par la Grande Chambre de Recours concernant la prise en compte de données postérieures au dépôt dans le contexte de l’activité inventive semble être celle du défaut de plausibilité ab initio.

Les déposants s’en réjouiront certainement, car cette approche est moins restrictive que l’approche de plausibilité ab initio retenue par certaines chambres de recours, selon laquelle les données postérieures au dépôt ne pourraient être prises en compte que si l’existence de l’effet technique était plausible pour la personne du métier sur la base de l’enseignement de la demande telle que déposée et de ses connaissances générales.

Néanmoins, dans les domaines techniques dans lesquels les résultats peuvent être considérés comme imprévisibles (notamment la chimie et les sciences de la vie), le risque qu’un défaut de plausibilité ab initio soit soulevé au cours de l’examen ou d’une procédure d’opposition ne devrait pas être négligé. Pour augmenter les chances de délivrance et limiter les risques en cas d’opposition, il s’agit donc de rester prudent et de trouver un juste équilibre entre la rapidité et le contenu de tout nouveau dépôt.

Sans attendre la décision écrite de la Grande Chambre de Recours, il convient de tenir compte de ces considérations dans les rédactions de vos demandes. Les équipes de Regimbeau se tiennent à votre disposition pour vous conseiller au cas par cas à ce sujet.

Publié par

Cécile Puech, Ph.D

Conseil Senior