La Copropriété de Brevets – 2ème partie

Le régime supplétif de la copropriété de brevets des articles L 613-29 à L 613-31 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) que nous avons présenté dans la première partie de notre article prévoit que le copropriétaire qui exploite, directement ou par voie de licence accordée à des tiers, indemnise équitablement le copropriétaire qui n’exploite pas.

Le régime supplétif de la copropriété de brevets des articles L 613-29 à L 613-31 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) que nous avons présenté dans la première partie de notre article prévoit que le copropriétaire qui exploite, directement ou par voie de licence accordée à des tiers, indemnise équitablement le copropriétaire qui n’exploite pas.

Il revient donc aux copropriétaires de décider des modalités de calcul de cette indemnisation et de l’acter par écrit, dans un accord de copropriété.

Nous constatons dans la pratique que si les copropriétaires trouvent en général assez facilement un terrain d’entente pour décider des règles de gestion et l’exploitation des brevets de la copropriété, ils peuvent avoir plus de difficultés à trouver un accord quant aux modalités de calcul de l’indemnisation équitable.

L’indemnisation équitable : principe et pratique

Dans la pratique, cette indemnisation peut être écartée si tous les copropriétaires exploitent l’invention, à moins qu’ils ne choisissent de mettre en place un système d’indemnisation croisée par lequel chaque copropriétaire verse une indemnisation aux autres copropriétaires.

L’essentiel est que chaque copropriétaire retire un avantage de l’exploitation du brevet et que les revenus issus de l’exploitation du brevet, que cette exploitation soit le fait d’un seul ou de plusieurs copropriétaires, soient « équitablement » répartis entre les copropriétaires.

Le principe d’équité voulu par le législateur interdit qu’un copropriétaire soit exclu de tout « retour sur investissement ». Mais il ne signifie pas non plus partage égalitaire entre les copropriétaires des revenus générés par l’exploitation des brevets, ni partage proportionnel à leur quotes-parts de brevets.

L’équité doit s’apprécier d’un point de vue économique en fonction des apports et contributions effectifs de chaque copropriétaire à la réalisation de l’invention brevetée mais aussi de son exploitation et de son marché.

Bien que consacrée par le législateur, cette notion d’indemnité équitable apparaît rarement dans les contrats de copropriété. Les copropriétaires préfèrent utiliser le terme de « redevances » qui leur est beaucoup plus familier. L’emploi de ce terme en soi serait indifférent s’il n’était pas quasiment systématiquement associé à la notion de « ventes nettes », à l’instar des licences de brevets.

Les « ventes nettes » sont définies comme étant le « montant des ventes hors taxes des produits brevetés, facturé après déduction des rabais divers, remises ou ristournes accordés, frais de transport, d’emballage et d’assurance liés au transport, autres taxes, frais de douane ».

Appliquer un taux de redevances sur une assiette de calcul qui ne prend en compte que le chiffre d’affaires généré par le copropriétaire exploitant constitue un dévoiement de l’esprit et du régime de la copropriété de brevet, qui, comme nous l’avons déjà souligné dans la première partie de notre article, doit être distingué du régime de la licence de brevet.

Certes, le principe de la liberté contractuelle s’applique et les copropriétaires peuvent en conséquence choisir d’un commun accord d’appliquer un système de redevance proportionnelle sur le chiffre d’affaires généré par l’exploitation du brevet pour calculer le montant de l’indemnisation équitable.

Mais, dans ce cas de figure, on remarque tout d’abord que les taux de redevances appliqués sont quasiment ceux qui auraient été appliqués à un licencié – ce que n’est pas le copropriétaire exploitant. Surtout, en appliquant un taux de redevance sur des ventes nettes, les copropriétaires se focalisent sur les seules perspectives du marché sans prendre en compte les aléas et les risques économiques et financiers du développement industriel et de la commercialisation de l’invention que va supporter le copropriétaire exploitant.

Cette méthode de calcul de l’indemnisation peut donc s’avérer in fine peu équitable car elle fait peser sur les seuls copropriétaires exploitants – qui agissent pourtant dans l’intérêt de tous les copropriétaires – tous les risques et toutes les charges de la valorisation de l’invention brevetée, auxquels se rajoutent parfois les frais de dépôt, de délivrance et de maintien des brevets communs. Cette méthode est donc susceptible de créer, à terme, de véritables déséquilibres économiques entre les copropriétaires exploitants et les copropriétaires «passifs », de mettre en danger le développement même de l’invention et d’être source de litiges. On relève d’ailleurs que cette méthode de calcul de l’indemnisation ne satisfait pas les tribunaux.

L’indemnisation équitable : la jurisprudence

Dans leurs décisions, les tribunaux rappellent toujours le principe d’équité voulu par le législateur. S’ils prennent en compte les perspectives du marché ou le chiffre d’affaires réalisé par le copropriétaire exploitant, ils examinent aussi de près l’implication, l’activité et les investissements de chaque copropriétaire avant de se prononcer sur les modalités de calcul ou le montant de l’indemnisation équitable.

Par exemple, la passivité du copropriétaire qui n’exploite pas, opposée aux risques pris par le copropriétaire exploitant, est un facteur toujours pris en compte par les juges. Ainsi, la Cour d’Appel de Rennes, dans un arrêt du 5 mars 2013 (Jean-Pierre Delaunoy, Gisèle Pacou, Philippe Delaunoy c. Bernard Sas) précise que « l’équité conduit dès lors à écarter pour le calcul de rémunération du copropriétaire qui n’assume aucun risque d’exploitation, l’application d’un pourcentage du chiffre d’affaires réalisé par l’autre, ce mode de calcul conduirait à un résultat disproportionné par rapport à l’avantage économique réellement retiré de l’exploitation du procédé breveté ». Dans cette affaire, les juges retiendront comme base de calcul de l’indemnisation équitable les seuls résultats bénéficiaires auxquels sera appliqué un pourcentage.

Dans une décision du 24 mars 2010 (Société Styrpac Sarl C. Société Acome SCP), confirmée par un arrêt de la Cour de Cassation du 12 juillet 2011, la Cour d’Appel de Paris reprenant les arguments avancés par l’appelante selon laquelle « l’indemnité équitable au sens de l’article L613-29 du Code de la Propriété Intellectuelle doit être définie en prenant en compte les investissements nécessaires et les charges assumées par le copropriétaire exploitant pour rentabiliser la mise en œuvre du brevet mais aussi en sens contraire la passivité du copropriétaire attentiste qui n’a pris aucune initiative ni exposé aucun frais alors que rien ne l’empêchait d’exploiter lui-même l’invention, fut-ce par le biais de licence » décide que « l’appelante est donc bien fondée à soutenir que l’assiette de l’indemnisation doit être limitée au seul résultat d’exploitation apporté par la commercialisation des dalles » (PIBD N° 985 III 1210).

On constate donc une différence d’approche entre une pratique qui confond indemnisation équitable et redevance de licence, par facilité ou par méconnaissance du régime spécifique de la copropriété des brevets et la jurisprudence des tribunaux.

Il est vrai cependant que la méthodologie de calcul des redevances pratiquées par les tribunaux peut s’avérer difficile à mettre en pratique par les copropriétaires.

Ces derniers ont le souci de figer au plus tôt les modalités de calcul de l’indemnisation équitable qui sera due. Il existe cependant des méthodes d’évaluation et des mécanismes contractuels qui permettent aux copropriétaires d’avoir une approche plus pragmatique de cette problématique.

En conclusion, la nécessité d’établir un règlement de copropriété doit être considérée comme une opportunité pour les copropriétaires de fixer des règles adaptées à leur projet d’exploitation et de prendre en compte, de façon équilibrée, les particularités et objectifs de chacun en respectant le régime juridique particulier de la copropriété de brevets.

Rappelons à cet égard qu’une invention protégée par un brevet détenu en copropriété est bien souvent le résultat d’un projet collaboratif géré par un accord de collaboration ou un accord de consortium. Il convient donc, dès le montage et la négociation de cet accord de collaboration, d’analyser les risques, enjeux, contraintes et bénéfices potentiels d’une éventuelle copropriété de brevets pour mieux préparer et négocier son futur règlement de copropriété.

Le service Contrats & Valorisation de Regimbeau vous accompagne dans l’ensemble de ces démarches.