La copropriété de brevets – 1ère partie

Le règlement de copropriété est, comme son nom ne l’indique guère, un contrat. Il est négocié de gré à gré par les copropriétaires en fonction de leur projet individuel ou collectif d’exploitation. Naturellement, les nouvelles règles de l’ordonnance n° 2016-13 du 10 février 2016...

Souhaitant favoriser l’exploitation des brevets d’invention et protéger les intérêts des copropriétaires, le législateur a mis en place en 1978 un dispositif légal dérogatoire au droit commun de l’indivision, à savoir les articles L 613-29 à L 613-31 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI).

Ce régime légal s’applique aux copropriétaires qui n’ont pas établi de règlement de copropriété et est donc dit « supplétif de la volonté » des copropriétaires. 

Quels sont les droits et obligations des copropriétaires selon le régime légal supplétif ?

L’article L 613-29 a) du CPI pose d’emblée le principe de la liberté pour chaque copropriétaire d’exploiter personnellement l’invention brevetée et d’agir en contrefaçon à son seul profit sous réserve, toutefois, de notifier les autres copropriétaires.

Cette liberté devient cependant conditionnelle dès lors que le copropriétaire veut accorder une licence non exclusive ou exclusive à un tiers.

Ainsi, selon l’article L 613-29 c) du CPI, le copropriétaire qui veut accorder une licence non exclusive à un tiers doit notifier au préalable le projet de concession aux autres copropriétaires et l’accompagner d’une offre de cession de sa quote-part de copropriété à un prix déterminé.

Pour éviter toute tentative de refus arbitraire, la loi prévoit qu’un copropriétaire qui s’oppose au projet de licence doit acquérir la quote-part de droit du copropriétaire concédant.

La licence d’exploitation exclusive ne peut, quant à elle, être accordée qu’avec l’accord de tous les copropriétaires (L 613-29 d) du CPI).

Par ailleurs, si chaque copropriétaire peut céder sa quote-part de droits à un tiers, il a l’obligation de respecter le droit de préemption de l’article L613-29 e) du CPI au profit des autres copropriétaires.

Précisons que le législateur a prévu que le copropriétaire qui exploite personnellement ou par voie de licence doit « indemniser équitablement » le(s) copropriétaire(s) qui n’exploite(nt) pas et que des voies de recours devant le Tribunal de Grande Instance (TGI) sont ouvertes dès lors qu’une situation de blocage se crée entre les copropriétaires. Le TGI peut ainsi intervenir pour fixer le prix de cession de quotes-parts en application des articles L 613-29 a) et L 613-29 c) du CPI ou le montant de l’indemnité équitable due au copropriétaire qui n’exploite pas.

Ce dispositif législatif tend à défendre tant les intérêts particuliers que les intérêts collectifs des copropriétaires. Ainsi, chaque copropriétaire doit être en mesure de tirer profit de l’exploitation de l’invention brevetée selon ses capacités, et de contrôler voire d’empêcher « l’intrusion » d’un tiers licencié ou cessionnaire dont l’action pourrait être nuisible à ses intérêts ou à ceux de la copropriété.

Un régime légal supplétif peu satisfaisant

Les dispositions légales supplétives ont le mérite de sortir la copropriété de brevet du carcan du régime de l’indivision de droit commun et de fixer des règles qui peuvent se révéler être tout à fait utiles en cas de mésentente entre les copropriétaires.

Les droits de contrôle et de recours qu’elles instaurent au profit des copropriétaires les rendent cependant peu adaptées aux réalités de la vie des affaires et trop complexes à mettre en œuvre.

En outre, ce dispositif législatif présente des lacunes. Par exemple, il ne contient aucune règle sur les modalités de répartition des quotes-parts de brevets, la désignation du représentant de la copropriété, la gestion et le suivi des procédures de dépôt, de délivrance et de maintien des brevets de la copropriété et sur le calcul de l’indemnisation équitable que doit payer le copropriétaire exploitant au copropriétaire qui n’exploite pas.

C’est pourquoi, dans la pratique, les copropriétaires se doivent d’établir un règlement de copropriété qui fixera leurs droits et obligations les uns envers les autres pendant la durée de vie du brevet et qui précisera, complètera, aménagera ou écartera les dispositions légales supplétives des articles L 613-29 à L 613-31 du CPI.

Le règlement de copropriété : un contrat spécifique

Le règlement de copropriété est, comme son nom ne l’indique guère, un contrat. Il est négocié de gré à gré par les copropriétaires en fonction de leur projet individuel ou collectif d’exploitation.

Naturellement, les nouvelles règles de l’ordonnance n° 2016-13 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations ont vocation à s’appliquer à la négociation et à la formation des règlements de copropriété de brevets soumis au droit français.

Ce contrat doit, autant que faire se peut, apporter des réponses aux diverses situations que les copropriétaires seront susceptibles de rencontrer durant la vie de la copropriété dans leurs aspects « administratifs », commerciaux et financiers.

Rappelons que les relations entre copropriétaires ne peuvent en aucun cas être assimilées à des relations d’un concédant avec son licencié.

Le règlement de copropriété fixe les règles qui vont régir les relations entre les titulaires d’un même brevet ; la licence, quant à elle, est analysée comme un contrat de louage et gère les relations entre un titulaire de brevet et un « loueur » licencié.

En conséquence, le règlement de copropriété ne peut être rédigé comme s’il s’agissait d’un contrat de licence et ce, même si un copropriétaire bénéficie de l’exploitation exclusive du brevet commun. Il en va également différemment, pour chacun de ces contrats, quant aux modalités de leur résiliation respectives.

Appliquer à un règlement de copropriété une logique de licence d’exploitation de brevets fait courir le risque de voir un certain nombre de ses dispositions invalidées et remplacées par les dispositions supplétives des articles L 613-29 à L 613-31 du CPI.

Le règlement de copropriété devra notamment :

  • S’agissant de la gestion du portefeuille de brevets

a)Identifier les demandes de brevets et brevets de la copropriété et se prononcer sur la répartition les quotes-parts de droits entre les copropriétaires,
b)Fixer les règles de prise en charge des frais de propriété industrielle,
c)Délimiter le mandat du représentant de la copropriété auprès du conseil en propriété industrielle, et ses obligations l’égard des autres copropriétaires
d)Préciser les modalités d’extension, règles d’abandon ou de cession de quotes-parts de brevets et les règles d’abandon ou de cession de brevets par les copropriétaires.

  • S’agissant de l’exploitation des brevets

a)Aménager les droits d’exploitation des copropriétaires en fonction de leur projet d’exploitation et de valorisation, de leur structure et des modalités d’exploitation envisagées ; de nombreux cas de figures sont envisageables y compris pour des copropriétés (fréquentes) réunissant des établissements publics de recherche et un industriel,
b)Définir les modalités de concession de licence à des tiers,
c)Préciser les règles de défense des brevets de la copropriété en cas de contrefaçon,
d)Gérer éventuellement le sort des perfectionnements de l’invention brevetée.

Enfin, les parties devront fixer la loi applicable à leur contrat et déterminer les sanctions applicables en cas de faute ou de défaillance d’un copropriétaire.

Naturellement les copropriétaires devront fixer les modalités de calcul de l’indemnisation équitable qui sera versée par le ou les copropriétaires exploitants à ceux qui n’exploitent. Or, nous le constatons en pratique, la fixation de l’indemnité équitable est souvent au cœur des discussions entre les copropriétaires et source de malentendus.

Ce point a fait l’objet de développements spécifiques (seconde partie de cet article).

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