Une Ordonnance de la CJUE du 8 septembre 2016 est venue bouleverser le cadre juridique français en matière d’inscription au registre des marques.
I. Cadre juridique en France
En France, le législateur a établi une distinction entre les inscriptions dites « majeures » et les inscriptions dites « mineures ».
En matière de marque, l’article L714-7 du Code de la propriété Intellectuelle prévoit : « Toute transmission ou modification des droits attachés à une marque doit, pour être opposable aux tiers, être inscrite au registre national des marques ».
Cet article signifie que toute cession, fusion… doit être inscrite au registre des marques pour que le nouveau titulaire puisse revendiquer les droits qu’il détient sur la marque dans le cadre d’un contentieux (action en contrefaçon, opposition).
A contrario, en cas de changement de nom, d’adresse et/ou de forme juridique du titulaire de la marque, il n’est pas nécessaire de procéder à l’inscription auprès du registre des marques pour que le titulaire puisse se prévaloir de ses droits sur la marque.
Cette distinction est néanmoins à nuancer au regard de certaines décisions de justice qui ont, de manière exceptionnelle, rejeté à tort les demandes faites au prétexte que le titulaire apparaissant comme inscrit concernant les droits de propriété industrielle n’est pas celui qui avait intenté l’action en justice (par exemple décision du Tribunal de Grande Instance de Pontoise du 13 février 2007).
Une Ordonnance rendue par le Tribunal de l’Union Européenne (TUE) le 21 avril 2015 et confirmée par l’Ordonnance de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 8 septembre 2016 remet ce principe en cause et met en exergue l’intérêt d’inscrire les changements de dénomination sociale.
II.l’Ordonnance de la CJUE du 8 septembre 2016 et ses enseignements
Dans le cas d’espèce, la société MIP METRO GROUP INTELLECTUAL PROPERTY GmbH & Co. KG avait déposé une demande d’enregistrement d’une marque de l’Union Européenne du signe distinctif REAL le 26 octobre 2010 qui a été publiée le 8 avril 2011.
Le 24 juin 2011, Real Express Srl avait formé opposition à cette marque contre la société MIP METRO GROUP INTELLECTUAL PROPERTY GmbH & Co. KG en revendiquant l’antériorité de deux marques roumaines REAL toujours enregistrées à son ancienne dénomination sociale SC Unibrand.
Real Express Srl avait transmis auprès de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO) une copie d’une lettre adressée à l’Office roumain les informant du changement de nom du titulaire des 2 marques roumaines et en demandant l’inscription au registre des marques.
Cette opposition a été rejetée par la division d’opposition de l’EUIPO pour défaut de preuve de l’existence des marques antérieures invoquées à l’appui de l’opposition.
L’EUIPO a en effet considéré que Real Express Srl n’avait pas apporté la preuve que le changement de nom avait été inscrit ou qu’il avait été jugé recevable par l’Office roumain et qu’il n’était donc pas titulaire des droits antérieurs.
Real Express Srl a formé un recours à l’EUIPO contre la décision de la division d’opposition le 15 août 2012 qui a été rejeté.
Le 4 novembre 2013, Real Express Srl a introduit un recours auprès du TUE contre la décision de la division d’opposition de l’EUIPO qui a été rejeté par une Ordonnance du 21 avril 2015.
Real Express Srl a ensuite formé un pourvoi contre cette Ordonnance auprès de la CJUE qui a confirmé l’Ordonnance du TUE par Ordonnance du 8 septembre 2016.
Il a notamment été relevé par les instances européennes que les documents envoyés étaient insuffisants pour établir que la requérante avait qualité de titulaire des marques antérieures puisque « Real Express n’avait produit aucune preuve émanant de l’Office roumain confirmant soit que les changements de nom avaient effectivement été inscrits, soit que l’Office roumain avait jugé recevables les demandes de changement de nom ».
Ce qui signifie que le changement de nom doit avoir été inscrit auprès du registre des marques ou au moins avoir fait l’objet d’une demande d’inscription jugée recevable par l’office des marques concernées pour que le titulaire de la marque puisse se prévaloir de ses droits.
S’agissant du premier cas de figure, il suffirait de fournir le certificat d’inscription délivré par l’Office pour confirmer l’inscription du changement.
Pour le second cas de figure, il est plus compliqué de déterminer quelles preuves émanant de l’office des marques pourraient démontrer que la demande d’inscription a été jugée recevable par l’office.
Si on transpose ce cas en France, on peut se demander si une copie de la demande d’inscription déposée auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) avec l’accusé réception de l’INPI serait suffisante ? A priori, ce document ne démontre pas que la demande a été jugée recevable mais uniquement que la demande a bien été réceptionnée par l’INPI.
En conclusion et bien que la portée de cette jurisprudence de la CJUE ne soit pas encore pleinement appréciable, il ressort de l’Ordonnance de la CJUE que pour éviter tout risque de contestation sur la titularité d’un droit, il est fortement conseillé de procéder à l’inscription d’un changement de nom le plus rapidement possible après la survenance du changement et le plus en amont possible de toute action judiciaire ou opposition.
Publié par
Jérôme Braquehais
Responsable du Service Inscriptions