Publicité et alcool : Les juges du fond affirment qu’il n’est pas nécessaire d’avoir l’air grincheux !

La Cour d’Appel de Versailles sur renvoi après cassation refuse l’interprétation stricte faite par la Cour de Cassation des dispositions de la Loi Evin relatives aux exigences des publicités pour des boissons alcoolisées.

La Cour d’Appel de Versailles (3e Ch, 3 avril 2014 ANPAA/CIVB) sur renvoi après cassation (Cass, 1ere civ, 23 février 2012) refuse l’interprétation stricte faite par la Cour de Cassation des dispositions de la Loi Evin relatives aux exigences des publicités pour des boissons alcoolisées.

La loi Evin du 10 janvier 1991, codifiée dans le code de la santé publique est relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme dans le cadre d’une politique de prévention sanitaire.

Elle réglemente de façon stricte la publicité pour l’alcool tant en ce qui concerne les supports autorisés que son contenu. Celui-ci est limité aux indications mentionnées par l’article L 3323-4 du code de la santé publique, étant précisé que la loi du 23 février 2005 a toutefois étendu ces indications en autorisant notamment des références aux appellations d’origine et en permettant des « références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit ».

Dans cette affaire, l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie (ANPAA) a assigné le Comité Interprofessionnel des Vins de Bordeaux (CIVB) et son agence de publicité en vue d’obtenir le retrait d’affiches publicitaires mettant en scènes divers personnages tenant chacun un verre de vin à demi plein suggérant une dégustation entre professionnels ; le prénom, le métier et la ville figurant à côté de chaque personne.

La Cour de Cassation censurant l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris de 2010 qui avait validé les affiches a fait une interprétation stricte de la Loi estimant que les publicités incriminées visaient à « promouvoir une image de convivialité associée aux vins de Bordeaux de nature à inciter le consommateur à absorber les produits vantés » considérant qu’elles comportaient des références visuelles étrangères aux seules indications énumérées par l’article L 3323-4 du code de la santé publique.

Dans son arrêt de renvoi, la Cour de Versailles résiste à cette interprétation stricte revenant à l’esprit de la loi Evin en retenant que « la publicité en faveur de l’alcool demeure en principe licite, la loi se bornant, dans le but d’une prévention d’une consommation excessive, à en limiter les modalités.

Or, par nature, toute publicité ne peut avoir comme objectif que de modifier le comportement de son destinataire en provoquant l’achat du produit présenté, soit en provoquant le désir d’acheter et de consommer. La présentation du produit à promouvoir suppose donc que ce dernier, et sa consommation, soient présentés sous un jour favorable et de façon attractive, la créativité des annonceurs étant seulement encadrées et non totalement muselées.».

La Cour de Versailles retient tout d’abord comme licite la présentation de personnes désignées comme membres de la filière de production ou de commercialisation de vins de Bordeaux (négociant, viticultrice…) en se rattachant à la notion d’appellation d’origine qui fait expressément référence au facteur humain.

Elle valide aussi la représentation de personnes professionnelles ayant à la main un verre à demi plein, puisqu’aucune personne n’est en train de boire et qu’il n’est pas fait référence à une convivialité entre consommateurs, « seule l’idée de dégustation, en petite quantité, par des professionnels » étant suggérée, qui plus est sur un fond neutre.

Si elle constate une « impression incontestable de plaisir » qui se dégage des affiches, liée à l’éclat de la couleur du vin et à l’expression de satisfaction des professionnels, elle considère que cette impression est inhérente à une démarche publicitaire « les annonceurs ne pouvant évidemment être tenus, sous prétexte de satisfaire aux exigences légales, de présenter des professionnels grincheux, au physique déplaisant et paraissant dubitatifs sur les qualités de produits à la couleur indéfinissable, afin d’éviter au consommateur toute tentation d’excès. ».

Si cette décision a le mérite de rappeler que la publicité pour les boissons alcoolisées n’est en aucun cas interdite mais encadrée et qu’il convient de se conformer à l’esprit de la loi Evin pour analyser les publicités, il n’en demeure pas moins qu’elle met aussi en exergue les difficultés et les subtilités liées à l’interprétation de la licéité des publicités et l’insécurité qui en résulte pour les professionnels de la filière et leurs agences de communication.

L’équipe de Regimbeau spécialisée en Vins & Spiritueux est à vos côtés pour vous conseiller et vous guider dans la protection de vos créations et dans la défense de vos droits.

Publié par

Martine Bloch-Weill

Associée gérante