Le système des brevets américains exige (toujours) plus que la Nature…

La loi Américaine sur les brevets est probablement l’une des plus permissives au monde. Elle ne prévoit en effet aucune exclusion de principe et impose seulement de vérifier en premier lieu qu’une invention est utile avant de l’examiner sous l'angle...

La loi Américaine sur les brevets est probablement l’une des plus permissives au monde. Elle ne prévoit en effet aucune exclusion de principe et impose seulement de vérifier en premier lieu qu’une invention est utile (au titre de 35 USC 101) avant de l’examiner sous l’angle des critères « classiques » de brevetabilité que sont la nouveauté et l’activité inventive.

Dans le domaine médical ou des biotechnologies, les Américains ont longtemps fait figure de pionniers. N’ont-ils pas été les premiers à reconnaître la brevetabilité du vivant (Diamond v. Chakrabarty, 1980) ? Ou des animaux transgéniques (Oncomouse, brevet américain délivré en 1988) ?

En Europe, la situation a toujours été différente. La Convention sur le Brevet Européen a, dès son origine, écarté de la brevetabilité les méthodes de traitement thérapeutique, les méthodes chirurgicales et les méthodes de diagnostic appliquées au corps humain ou animal1, notamment.

Ces interdictions, ainsi que les moyens de les éviter, ont été intégrés depuis des décennies par les déposants dans leur démarche de protection de telles inventions et des brevets ont ainsi été obtenus, quelquefois avec des portées différentes, de chaque côté de l’Atlantique.

Tout cela semblait acquis jusqu’à ce que les tribunaux Américains décident de durcir l’application du critère d’utilité, invoquant (bien que cela ne fût pas nouveau) les lois de la nature, les phénomènes naturels ou les produits naturels….

Cela a commencé avec la décision Mayo v. Prometheus rendue par la Cour Suprême le 20 mars 2012 dans le domaine des diagnostics. Dans cette affaire, il a été considéré qu’une méthode d’optimisation du traitement d’un patient atteint d’une affection immunitaire, méthode comprenant plusieurs étapes, ne constituait rien de plus que l’observation de « lois de la nature » combinée à des étapes de routine, et qu’à ce titre, la méthode en question n’était pas brevetable au titre de 35 USC 101.

Cette méthode consistait à doser un composé chez un patient, après administration du médicament, afin de déterminer s’il était nécessaire d’augmenter ou de diminuer la dose du médicament pour une nouvelle administration. Le dosage du composé révélait en fait le niveau de dégradation du médicament dans l’organisme, à savoir un « phénomène naturel », et le fait d’intégrer ce phénomène naturel dans un diagnostic, dont les étapes techniques sont par ailleurs classiques, n’a pas été suffisant pour satisfaire le critère d’utilité.

Forte de cette décision, la Cour Suprême demande alors au Federal Circuit de reconsidérer l’affaire Myriad. En août 2012, les trois juges du Federal Circuit confirment la décision qu’ils avaient prise un an auparavant, à savoir que l’ADN isolé est brevetable (au sens de 35 USC 101), au motif que ces molécules ne se trouvent pas, en tant que telles, dans la nature, qu’elles sont le résultat d’une intervention humaine et ont une identité et une structure chimique spécifiques(cf notre article d’aout 2012).

Mais le 13 juin 2013, la Cour Suprême, à l’unanimité, arrive à la conclusion exactement inverse et décide que les séquences d’acides nucléiques isolées sont des produits de la nature et par conséquent, ne sont pas brevetables (cf notre article de juin 2013).

Le jour même, l’Office Américain des Brevets (USPTO) émet un Memorandum à l’attention des examinateurs américains qui ont désormais pour instruction de rejeter toute revendication de produit concernant une séquence d’acides nucléiques naturels ou un fragment de celle-ci, isolée ou non, pour défaut d’utilité selon 35 USC 101.

La brevetabilité des méthodes mettant en œuvre des acides nucléiques n’est pas claire, pas plus que le sort qui sera réservé aux protéines, aux anticorps, à leurs utilisations…etc… De plus, ce Memorandum annonce qu’après une analyse approfondie de la décision de la Cour Suprême, des directives plus précises seront émises….

A ce stade, l’on comprend que l’application du critère d’utilité au regard des lois de la nature, phénomènes naturels ou produits naturels est susceptible de se répandre à différents types d’inventions et domaines techniques… mais jusqu’où ?
Nous avons un début de réponse depuis le 04 mars 2014, date à laquelle l’USPTO a émis un nouveau Memorandum (Guidance Memorandum) à l’attention des examinateurs américains, d’effet immédiat.

Ce Guidance annonce clairement qu’il s’applique à tout type d’invention (machine, composition, fabrication ou procédé) concernant ou consistant en une loi de la nature, un phénomène naturel et/ou un produit naturel.

Il propose une méthode pour déterminer si de telles inventions sont « significativement différentes » (significantly different) de ce qui existe dans la nature, critère obligatoire pour les considérer comme éligibles, c’est –à-dire comme des inventions potentiellement brevetables et donc retenues pour être examinées au fond, au moyen des critères « classiques » de brevetabilité que sont notamment la nouveauté et l’activité inventive.

Il est important de noter que l’USPTO, par ce nouveau Guidance, a souhaité aller bien au-delà de la question de la brevetabilité des acides nucléiques et entend appliquer ces nouveaux critères d’éligibilité à un très grand nombre de domaines techniques.

Ce Guidance précise en effet que par « produit naturel », on entend (sans que cela soit limitatif) : toute entité chimique dérivée d’une source naturelle telle qu’un antibiotique, une huile, une matière grasse, un dérivé du pétrole, une toxine, une résine, etc… ; tout produit alimentaire tel qu’un fruit, une graine, un végétal ; des métaux et composés métalliques présents dans la nature ; des minéraux ; des matériaux naturels tels que le sable, le sol ; des acides nucléiques ; des organismes tels que des bactéries, des plantes, des animaux multicellulaires ; des protéines et peptides ; et tout autre substance trouvée dans la nature ou dérivée de celle-ci…

Le mode opératoire exposé dans ce Guidance, censé permettre aux examinateurs américains de déterminer si l’invention concernée est « significativement différente » (ou non) d’une loi de la nature, d’un phénomène naturel ou d’un produit naturel, repose sur l’utilisation par ces examinateurs d’un arsenal de facteurs (factors) supposés les aider dans leur démarche.

Ces facteurs sont répartis en deux catégories : ceux qui sont en faveur de l’éligibilité (au nombre de six, de a) à f)) et ceux qui sont au détriment de l’éligibilité (au nombre de six également, de g) à l)). Ces facteurs ne sont bien évidemment pas définitifs, la créativité des inventeurs et des examinateurs ne manquera pas, dans le temps, d’allonger leurs listes respectives.
Ces facteurs, quels sont-ils ?

Parmi les facteurs « en faveur de l’éligibilité », on notera par exemple, le facteur a) précisant que la revendication de produit concerne finalement un produit non présent naturellement ou différent notablement, dans sa structure, de produits naturels, ou le facteur d) précisant que la revendication mentionne des éléments/étapes qui font plus que décrire le fait ou produit naturel utilisé ou appliqué au moyen d’instructions générales.

Parmi les facteurs « au détriment de l’éligibilité », on notera par exemple, le facteur g) précisant que le produit objet de la revendication n’est pas notablement différent, dans sa structure, de produits naturels, ou le facteur j) précisant que la revendication mentionne des éléments/étapes communément admis(es), purement conventionnel(le)s ou de routine dans le domaine considéré.

Ainsi, l’examinateur américain, face à une invention mettant en œuvre une loi de la nature (par exemple, une propriété d’une bactérie particulière) ou comprenant l’utilisation d’un produit naturel (par exemple, du sel) devra rechercher, dans les douze (premiers) facteurs mis à sa disposition dans le Guidance, ceux qui s’appliquent aux revendications concernées, en faveur de l’éligibilité et/ou au détriment de l’éligibilité. Il devra ensuite en faire la « somme » et la synthèse, au vu notamment de la description de l’invention, pour arriver à la conclusion de l’éligibilité …ou non.

De façon simplifiée, l’examinateur américain établira une version adaptée de la colonne des « plus » face à la colonne des « moins » afin de conclure sur la suite à donner à l’examen au fond quant à la brevetabilité de l’invention concernée.

S’il est louable de ne pas vouloir accorder de brevet à des inventions basées sur des lois de la nature, phénomènes naturels ou produits naturels, par définition universels et donc la propriété de tous, l’on sent bien que l’étau se resserre autour de la portée des inventions aux Etats-Unis.

En effet, pour se démarquer significativement d’une loi de la nature, d’un phénomène naturel ou d’un produit naturel, les revendications devront comprendre des caractéristiques prouvant l’intervention de l’Homme, et ce de façon originale.

Il s’agira de convaincre l’examinateur américain que l’invention va au-delà de ce qui se passe ou de ce que l’on trouve dans la nature, qu’elle ajoute (au moins) un élément essentiel et original ou qu’elle implique une mise en œuvre inédite. Ce qui sera mentionné dans la description sera donc primordial pour défendre l’invention.

Si la démarche n’est pas nouvelle, elle prend toutefois une nouvelle dimension, et bien que ce Guidance n’ait ni force de loi, ni de jurisprudence « suprême » aux Etats-Unis, pays de common-law, il est fort probable que les échanges avec les examinateurs Américains vont se durcir. En effet, le mode opératoire proposé dans le Guidance (nombreux facteurs dont l’importance relative n’est pas définie) promet des échanges délicats et potentiellement nombreux, avant toute analyse au fond de l’invention.

Dans quelques mois, nous pourrons faire un premier bilan des conséquences de ces nouvelles pratiques. L’une des premières sera vraisemblablement de constater que l’écart se sera creusé entre la protection obtenue pour une même invention, de part et d’autre de l’Atlantique. Qui aurait pu, il y a seulement quelques années, prévoir une telle évolution ?

PS : Cette situation pourrait ne pas être définitive, l’USPTO ayant (déjà !) décidé de préparer une version révisée du Guidance de mars 2014. Doit-on comprendre que l’USPTO a réalisé qu’il était allé un peu loin en édictant ces nouvelles mesures ou que certains lobbys ont été particulièrement actifs ?

Quoiqu’il en soit, cette nouvelle version pourrait voir le jour dans quelques semaines… Encore un soubresaut en perspective dans le ciel des inventions brevetables (ou non) aux Etats-Unis.

1 Les méthodes de diagnostic réalisées in vitro sont brevetables en Europe.

Publié par

Frédérique Faivre Petit

Associée gérante