Procédure de recours en opposition devant la Cour d’Appel de Paris – la recevabilité de nouvelles requêtes subsidiaires ne coule pas de source

Le 26 septembre 2025, la Cour d’Appel de Paris a rendu un arrêt remarquable en ce qu’il s’agit du premier arrêt réformant une décision du Directeur Général de l’INPI statuant sur l’opposition à un brevet français sur la base de documents de l’état de la technique nouvellement présentés lors du recours. Plus inattendue encore est la position de la Cour quant aux stratégies ouvertes aux parties pour faire valoir leurs prétentions.

Exposé des faits

La décision du Directeur Général de l’INPI statuait dans le sens d’un maintien du brevet tel que modifié, selon la première requête subsidiaire soumise par le titulaire du brevet.

Au cours de la procédure de recours, la société opposante et requérante, qui avait demandé l’annulation de la décision, verse treize documents de l’art antérieur à l’appui d’attaques visant à prouver que l’objet du brevet n’est pas nouveau ou n’implique aucune activité inventive. Aucun de ces documents n’avait été versé à la procédure d’opposition elle-même.

La recevabilité d’une telle manœuvre peut sembler douteuse aux entreprises ou aux mandataires familiers des recours en opposition devant l’Office Européen des Brevets, au cours desquels les possibilités pour une partie de soumettre de nouveaux moyens est très encadrée. Cependant, elle est acquise devant la Cour d’Appel car, aux termes de l’article R. 411-38 du code de la propriété intellectuelle, premier alinéa :

Pour justifier devant la cour d'appel saisie d'un recours formé [à une décision d’opposition de brevet] des prétentions qu'elles avaient soumises au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves.

Naturellement, le titulaire du brevet présente deux nouvelles requêtes subsidiaires en limitant les revendications de sorte à s’écarter des nouveaux documents cités. La Cour déclare cependant ces nouvelles requêtes irrecevables, les considérant comme de nouvelles prétentions qui, comme l’indique le deuxième alinéa de l’article précité, ne peuvent être soumises que « pour faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ».

On pourrait s’attendre à ce que la citation par l’opposant de plus d’une dizaine de documents n’ayant fait l’objet d’aucun débat devant l’INPI soit un fait nouveau justifiant une telle prétention. C’est sans prendre en compte l’avis de la Cour, selon laquelle « les nouveaux documents opposés ne peuvent être qualifiés de nouveaux faits puisqu’ils préexistaient à la demande de brevet et qu’au moment de la rédaction du brevet, ils pouvaient être pris en compte ».

Les nouvelles requêtes déposées par le titulaire sont donc déclarées irrecevables, au contraire de l’avis même du Directeur Général de l’INPI, qui considérait que l’irrecevabilité de ces requêtes serait inéquitable pour le titulaire. Le brevet est maintenu sous forme modifiée selon une requête subsidiaire 2 qui avait déjà été présentée par le titulaire pendant la procédure devant l’INPI.

La Cour confirme donc son arrêt du 9 avril 2025, dans lequel elle avait jugé irrecevable des requêtes subsidiaires nouvellement présentées en recours. Dans cette affaire, cependant, l’opposant n’avait pas invoqué en recours de nouveaux documents non présentés devant l’INPI.

Quels enseignements retenir de cet arrêt ?

La position de la Cour nous semble regrettable.

Premièrement, elle crée une inégalité certaine entre les parties, en ne fournissant pas aux titulaires de brevets la possibilité de se défendre contre des mises en cause de la brevetabilité de l’invention protégée sur la base de documents de l’art antérieur dont ils n’avaient pas connaissance avant leur présentation par l’opposant, lors du recours.

L’idée que le titulaire d’un brevet aurait pu connaître l’intégralité de l’art antérieur opposable à son brevet, au moment de sa rédaction, est très difficilement soutenable pour tout praticien du droit de la propriété intellectuelle.

La procédure d’opposition vise justement à permettre la remise en cause de la validité du titre, notamment sur la base de documents de l’état de la technique non connus du demandeur et de l’office au moment du dépôt de la demande !

Deuxièmement, et plus discutable encore, cet arrêt ne peut qu’inciter les opposants à garder de côté des documents de l’art antérieur, en attendant un éventuel recours devant la Cour d’Appel pour les produire, dans l’assurance que le titulaire ne sera pas en mesure de se défendre de manière adéquate. C’est ce qui motive l’approche radicalement différente de l’OEB, qui tend à considérer de nouvelles requêtes présentées au stade du recours sur opposition par le titulaire comme recevables dès lors qu’elles visent à répondre à de nouveaux moyens.

Il faut également s’attendre à ce que cet arrêt dissuade les titulaires de brevets d’interjeter appel aux décisions du Directeur Général de l’INPI, quand bien même il n’aurait pas été fait droit à leurs prétentions, et quand bien même ils disposeraient d’arguments probants pour faire valoir leurs droits.

On ne peut qu’espérer une jurisprudence future de la Cour plus soucieuse de la préservation des droits des titulaires. En effet, il nous semble primordial que le recours sur opposition permette à la fois une contestation de la validité de brevets qui auraient été délivrés sans que tous les éléments pertinents fussent connus de l’INPI, et une sauvegarde de la protection légitimement due au titulaire, une fois ces éléments mis au jour.

Les Conseils en Propriété Industrielle de Regimbeau se tiennent à votre disposition pour vos procédures d’opposition et de recours devant les juridictions françaises.

Publié par

Stéphanie Massin Célaire

Associée gérante

Alexandre Metzger

Ingénieur Brevets
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