Les imprimantes 3D et la propriété intellectuelle mises en relief

La pièce manquante de votre puzzle préféré, un bijou hors de prix, une pièce détachée à remplacer… Tous ces produits peuvent être techniquement fabriqués par des imprimantes 3D.

La pièce manquante de votre puzzle préféré, un bijou hors de prix, une pièce détachée à remplacer… Tous ces produits peuvent être techniquement fabriqués par des imprimantes 3D.

A l’aube de l’ère de ces « nouvelles » machines, nous nous sommes penchés sur ces imprimantes qui peuvent révolutionner les systèmes de fabrication, mais sont également susceptibles de défrayer les chroniques judiciaires de la propriété intellectuelle.

  • Pour comprendre l’impact de ce nouveau produit, définissons-le.

Une imprimante 3D est une machine qui, à partir d’un fichier numérique représentant un produit (modèle numérique), reproduit celui-ci en trois dimensions. Plus concrètement, l’utilisateur « dessine » un produit à l’aide d’une CAO (conception assistée par ordinateur) et crée ainsi un fichier numérique qui sera envoyé à l’imprimante 3D pour obtenir le produit final. Il est également possible d’utiliser un scanner 3D, évitant d’avoir à « créer » le produit en version numérique, se basant donc sur un objet existant.

Le scanner fabrique le fichier numérique nécessaire à l’imprimante 3D pour concevoir le produit. Ainsi, si une pièce détachée de votre cafetière, par exemple, est cassée, il est possible de scanner la pièce détachée non abimée, d’envoyer le fichier à votre imprimante 3D et vous pourrez ainsi remplacer la pièce.

On parle de fabrication additive, les objets étant créés par le dépôt de matière couche par couche, ce qui la différencie d’autres méthodes travaillant directement la matière. Cela permet, selon les spécialistes, l’obtention de produits de structure plus complexe que ce qui est réalisé par d’autres technologies. Plusieurs techniques existent, les plus connues étant la FDM qui consiste en un dépôt de matière en fusion, le frittage sélectif par laser ou encore la plus ancienne, la stéréo lithographie (méthode de solidification de plastique liquide par la projection d’une lumière UV).

  • La terminologie employée mérite toutefois quelques explications.

Le nom d’imprimante 3D semble en effet assez surprenant, à tout le moins au premier abord. En effet, une imprimante étant définie (par le petit Larousse) comme « un dispositif d’impression sur papier des résultats d’un traitement sur ordinateur », nous pourrions être un peu déconcertés. Mais ce nom trouve tout son sens lorsque l’on étudie leur fonctionnement. Un document numérique est reproduit à l’aide d’une machine contenant des buses proches de celles utilisées dans des imprimantes standards, qui se déplacent pour déposer un produit.

Ainsi, il semblerait que l’origine du terme soit une simple analogie au fonctionnement de l’imprimante classique…

  • Ces imprimantes sont utilisées dans les industries…

Encore aujourd’hui, les imprimantes 3D sont principalement utilisées pour réaliser des prototypes. Certains lycées en sont même déjà équipés, le produit n’est donc pas nouveau (il a été créé dans les années 80 !). L’utilisation reste ponctuelle ou à tout le moins destinée à des réalisations de faibles volumes.

Certaines industries l’utilisent toutefois déjà, non plus uniquement au stade de la R&D pour des prototypes, mais directement comme mode de fabrication des produits. L’usage de ces machines est alors parfois époustouflant, digne de la science-fiction.

Outre le fait que cette « nouvelle » technologie soit utilisée dans l’aérospatial et l’automobile pour la création de pièces détachées complexes, son application à la médecine est remarquable.

Un service de chirurgie à Dijon a notamment créé des implants faciaux sur mesure en reproduisant les cranes de leurs patients, en matière plastique. En Angleterre, le visage d’un homme gravement accidenté a été ainsi reconstitué.

Dans une Université en Californie, un professeur a créé une technologie de construction permettant d’édifier un mur voire une maison en moins de 24 heures par le moyen d’une grue et le dépôt, couche par couche, d’un béton renforcé.

Plus fréquemment, les imprimantes 3D sont utilisées pour créer des prothèses et appareils auditifs sur mesure.

  • …Mais peuvent également être utilisées de manière domestique !

Le prix des imprimantes et des scanners 3D étant de plus en plus accessible, de nombreux produits pourront être reproduits chez soi. Pièces détachées, jouets, chaussures, bijoux, nous pouvons laisser notre imagination voyager … tout sera accessible à condition de posséder le fichier numérique correspondant ainsi que la machine.

La question de la sécurité de ces produits qui peuvent être créés « à la maison » est également très importante. Celle du choix du matériau par exemple, ou de la fiabilité de la pièce créée se pose ainsi que la licéité du produit créé. Un étudiant texan a notamment réussi à créer une arme à feu et a tiré 6 balles avant qu’elle ne se désagrège.

  • Les imprimantes 3D pourraient ainsi être qualifiées de révolutionnaires. Et comme toute révolution les conséquences juridiques pourraient être non négligeables !

De très nombreux produits du commerce sont protégés par des droits de propriété intellectuelle. Leur design peut être protégé par droit d’auteur ou par modèle et leurs fonctions techniques par brevet. En outre, la forme de certains produits ou emballages a été considérée comme suffisamment distinctive pour être protégée à titre de marque (telle que la bouteille de Coca Cola® par exemple).

Bien que leur reproduction soit susceptible d’être qualifiée de contrefaçon, l’étendue des droits de propriété intellectuelle a des limites. Ainsi, l’utilisation des scans et imprimantes 3D doit-elle être qualifiée de contrefaçon ou constitue-t-elle une exception licite ?

En premier lieu, plusieurs actes sont susceptibles d’être qualifiés de contrefaçon. On pense bien entendu à la reproduction du produit initial par la machine.

Toutefois, rappelons-nous qu’un fichier électronique « transformant » le produit 3D en 2D est indispensable. Or, nous ne pouvons écarter le fait que la création même du fichier puisse constituer une contrefaçon. Nous pourrions en effet considérer par exemple que ce fichier est une adaptation de l’œuvre originale protégée par le droit d’auteur, ou l’imitation d’une marque.

Il est toutefois difficile de considérer que c’est une contrefaçon du brevet ou du modèle, le produit n’étant pas reproduit. Ainsi ses fonctions techniques ainsi que ses caractéristiques essentielles esthétiques ne sont ni reprises ni imitées.

La mise à disposition de ces fichiers tant par un site commercial que par un particulier nous semble également susceptible d’être qualifiée de contrefaçon.

Toutefois, afin de déterminer si ces actes sont licites, une question primordiale doit être posée : dans quel cadre cet acte est-il effectué ? En d’autres termes, cet acte est-il commis dans la vie des affaires, dans un cadre privé à des fins non commerciales ou encore est-ce à des fins d’expérimentation ?

En effet, l’article L.122-5 al 2 du Code de la Propriété Intellectuelle instaure une exception à la protection du droit d’auteur, à savoir l’exception de copie privée. Les articles L.613-5 b et L.513-6 du code de propriété intellectuelle n’étendent pas la protection du brevet et modèles à des actes commis dans un cadre privé à des fins non commerciales ou à des fins d’expérimentation.

Quant à l’article L.713-2 du CPI, il dispose qu’il n’y a contrefaçon de marque que si la reproduction ou l’imitation de la marque a été effectuée dans la vie des affaires (à savoir « dans le contexte d’une activité commerciale visant un avantage économique et non dans le domaine privé » (CJCE Arsenal 12 octobre 2002)).

Ces conditions ou exceptions méritent donc d’être précisées pour déterminer si la fabrication de produits grâce aux imprimantes 3D est licite.

En droit d’auteur

L’exception pour copie privée du droit d’auteur exige que le copiste et l’utilisateur soient la même personne, avec la tolérance que cette utilisation puisse être familiale. Toutefois, a été considéré comme copiste (par la jurisprudence), aussi bien la personne qui met à disposition les moyens de reproduire des œuvres que celui qui en choisit le contenu.

Ainsi, nous ne pouvons écarter le fait que le particulier qui se rend dans un « lab fab » (laboratoire mettant à disposition des imprimantes 3D) ou des commerces de mise à disposition de ces imprimantes pour réaliser une copie de son bijou préféré pourrait être considéré comme contrefacteur, tout comme les « lab fab » ou commerces eux-mêmes.

En outre, si la COPIE du produit peut être considérée dans certains cas comme licite, la mise à disposition du fichier lui-même final ne l’est pas (s’il est réalisé au moyen de ses propres machines et pour soi). Quant à la mise à disposition de ce fichier, elle tomberait bien entendu sous le coup de la contrefaçon.

En matière de brevet et modèle

Les exceptions à la protection du brevet et modèles à des actes commis dans un cadre privé à des fins non commerciales ou à des fins d’expérimentation doivent être interprétées strictement.

Si la création du fichier électronique peut ne pas être considérée comme un acte de contrefaçon parce qu’il ne reproduit pas le produit en tant que tel, la mise à disposition dudit fichier en question pourrait être qualifiée de fourniture de moyens essentiels pour la réalisation de l’objet couvert par le brevet quelle que soit la finalité commerciale et donc de contrefaçon. Cette particularité n’existe pas en droit des modèles.
Concernant la reproduction du produit en lui-même par l’imprimante 3D, si celui-ci reste dans le cadre privé et non commercial, il ne sera certainement pas considéré comme une contrefaçon.

Marque

Enfin, concernant la marque, la solution est différente. La contrefaçon est réalisée uniquement si l’acte est effectué dans la vie des affaires. Il ne s’agit pas d’une exception au droit mais une condition de réalisation de la contrefaçon. Ainsi, si le fichier électronique créé est mis à disposition du public pour être vendu, il y aura contrefaçon, tout comme le produit final obtenu par l’imprimante 3D.

Les tribunaux seront certainement amenés prochainement à se prononcer sur tous ces points et à apprécier, cas par cas, s’il y a ou non contrefaçon.

En tout état de cause, cette technologie risque d’être si attractive qu’elle est susceptible de faire perdre conscience aux consommateurs ainsi qu’aux sites Internet mettant à disposition des fichiers électroniques de produits protégés, sans oublier les « lab fab », de la légalité ou non de leurs actes.

En tout état de cause nous vous conseillons de vérifier que le produit à reproduire n’est pas protégé par un droit de propriété intellectuelle et sommes à votre disposition pour faire des recherches.

  • Une révolution technique et juridique, vraiment ?

Cette mise à portée de main de ces machines extraordinaires sera certainement une révolution pour nous tous particuliers et permettra certainement des avancées considérables dans nombre de domaines soulevant la question de la fiabilité des pièces ainsi réalisées. Quant aux droits de propriété industrielle, elle suscitera des débats conduisant à délimiter de façon plus précise leur étendue comme à chaque avancée technologique.

Dans tous les cas, nous pouvons nous attendre à des démêlés judiciaires dans ce domaine et avons d’ores et déjà anticipé la question pour y faire face ! Consultez-nous avant toute activité utilisant la technologie d’imprimantes 3D !

Publié par

Caroline Huguet-Braun

Responsable du Bureau de Rennes