La Cour d’Appel de Versailles vient de rappeler, le 5 janvier 2016 qu’on ne peut pas indument profiter du succès de certains produits de marque et qu’il convient de rester vigilant avant de lancer de nouvelles marques de distributions (MDD).
Cette affaire est d’autant plus intéressante qu’elle met par ailleurs en avant les liaisons dangereuses entre les fabricants des produits originaux et la grande distribution.
La société SAVANCIA (anciennement dénommée BONGRAIN) qui commercialise le fromage Caprice des Dieux a fabriqué initialement les produits de MDD pour les centres Leclerc sous la marque Cœur de Crème et pour Carrefour sous la marque Cœur Complice. Depuis ces deux distributeurs font fabriquer leur produit par des concurrents de SAVANCIA.
En 1988, la société SAVANCIA a décidé de créer un nouveau format pour son produit et a lancé le Mini Caprice des Dieux de 50 gr, vendu par trois, dans un étui en carton découpé le faisant apparaitre en partie.
En 2010, aussi bien les centres Leclerc que la société Carrefour décident chacun de leur côté de lancer leur produit Cœur de Crème et Cœur Complice en petit format de 50gr et vendus par 3.
La société GUILLOTEAU a obtenu le marché pour les deux distributeurs et a fabriqué les Mini Cœur de Crème et les Mini Cœur Complice.
La société SAVANCIA a assigné la société GUILLOTEAU en concurrence déloyale et parasitisme en raison de la forme en calisson à croute blanche du fromage, de la présentation par 3, dans un étui horizontal cartonné bleu, de la présence des couleurs bleu, jaune et rouge et du mot « mini ».
Le TGI avait rejeté les demandes de la société SAVANCIA sur la base aussi bien de la concurrence déloyale que du parasitisme. La société SAVENCIA a fait appel du jugement.
La Cour d’Appel vient d’infirmer le jugement sur les deux fondements et rappelle très clairement les bases et motivations de chacun des griefs.
Sur la Concurrence déloyale :
Bien que la Cour affirme que Carrefour et les centres Leclerc peuvent faire fabriquer par des concurrents de la société SAVANCIA les fromages grand format Cœur Complice et Cœur de Crème, et donc que tout concurrent peut décliner ces fromages en miniature, elle indique néanmoins que cela ne confère pas un droit de reprendre les caractéristiques du Mini Caprices des Dieux qui n’a jamais été fabriqué en MDD.
Après avoir analysé les caractéristiques des trois fromages Mini Caprices des Dieux, Mini Cœur de Crème et Mini Cœur Complice (produit du même type, de même apparence, de même forme, de même poids et vendus en nombre identique par lot de trois, dans des étuis qui reprennent de manière similaire le type, la forme et les couleurs) la Cour d’Appel en déduit que les deux produits MDD « reproduisent les éléments caractérisant et identifiant » le Mini Caprice des Dieux qu’il s’agisse du produit, de son étui, de sa présentation, de son mode de commercialisation, ces éléments n’étant pas nécessaires.
Contrairement au juge de première instance, la Cour rappelle que l’appréciation doit se faire dans son ensemble et que « même si pris isolément chacun des éléments ne caractérisent pas à lui seul un acte déloyal, leur ensemble relève de la reprise sans nécessité de multiples caractéristiques du produit Mini Caprice des Dieux de nature à créer une confusion ».
Cette reprise de l’ensemble traduit donc un comportement déloyal imputable à la société GUILLOTEAU « attentatoire à l’exercice paisible et loyal du commerce ». De plus ces actes constituent des facteurs de banalisation du Mini Caprice des Dieux.
Sur le parasitisme :
La société SAVANCIA considère que la société GUILLOTEAU a voulu tirer profit de la réputation de qualité et de prestige de son produit, sans investissement de conception, de promotion et de commercialisation, dans le but d’améliorer le résultat de son entreprise. Elle précise d’ailleurs, que le dirigeant de cette entreprise affirmait dans les colonnes du magazine Réussir Lait et Elevage intéresser la grande distribution avec « des copies du Mini Caprice des Dieux »…
La société SAVANCIA démontre de plus la notoriété de son produit auprès des consommateurs et les investissements publicitaires engagés.
La Cour d’Appel rappelle tout d’abord la définition du parasitisme qui se caractérise « indépendamment du risque de confusion, par la circonstance selon laquelle une personne, à titre lucratif et de façon injustifiée, s’inspire ou copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements, manifestant une volonté de se placer dans le sillage d’un concurrent pour profiter de sa notoriété ».
Puis elle considère au vu des éléments produits par la société SAVANCIA que la mise sur le marché des produits litigieux ne serait être fortuite mais procède de la « volonté délibérée de profiter indument du fruit des investissements d’autrui, de la notoriété acquise » par le Mini Caprice des Dieux et de se placer dans le sillage de la société SAVANCIA. Elle en déduit qu’il s’agit donc d’un « comportement fautif lui procurant un avantage concurrentiel pour développer un produit concurrent » qui caractérise les actes parasitaires reprochés.
Outre les condamnations financières prononcées, la Cour d’Appel interdit à la société GUILLOTEAU directement ou indirectement la fabrication, la commercialisation et la distribution des produits litigieux dans la forme, l’emballage et la présentation incriminés.
Publié par
Martine Bloch-Weill
Associée gérante