Le dépôt répété de la marque Monopoly : un acte de mauvaise foi sanctionné par une annulation partielle (sans passer par la case départ !)

Le 22 juillet dernier, la Cour d’appel de l’Union européenne a rendu sa décision dans la procédure d’annulation intentée par un tiers à l’encontre de l’une des marques MONOPOLY de la société Hasbro, Inc. Cette décision appelle à la plus grande attention et à une extrême vigilance lors de la réflexion portant sur la stratégie de dépôt de marque… (Décision du 22/07/2019, R1849/2017-2)

Le 22 juillet dernier, la Cour d’appel de l’Union européenne a rendu sa décision dans la procédure d’annulation intentée par un tiers à l’encontre de l’une des marques MONOPOLY de la société Hasbro, Inc. Cette décision appelle à la plus grande attention et à une extrême vigilance lors de la réflexion portant sur la stratégie de dépôt de marque… (Décision du 22/07/2019, R1849/2017-2)

Contexte de la décision

En 2011 la société Hasbro, Inc. (Hasbro) a formé opposition à l’encontre de la demande de marque – déposée par la société Kreativni Dogadaji d.o.o (Kreativni) en classe 28 – sur la base de diverses marques antérieures MONOPOLY.

Elle a obtenu gain de cause en invoquant notamment l’article 8, 5) du Règlement et la renommée de sa marque britannique MONOPOLY pour des jeux de société (décision du 11/01/2017 – Opposition No. B 1 918 641).

Dans l’intervalle, la société Kreativni avait intenté en 2015 une action en nullité à l’encontre de la marque européenne MONOPOLY No. 009071961, enregistrée le 25 mars 2011 en classes 9, 16, 28 et 41 (également invoquée dans le cadre de l’opposition précitée). La société Kreativni arguait que cette marque avait été déposé de mauvaise foi et que son enregistrement avait pour unique but de contrer les conséquences d’une éventuelle déchéance pour défaut d’usage des autres marques antérieures MONOPOLY.

Par une décision du 22 juin 2017, la division d’annulation a rejeté cette demande, considérant qu’elle était infondée. La société Kreativni a interjeté appel et a obtenu gain de cause auprès de la Chambre des Recours, laquelle a prononcé le 22 juillet dernier l’annulation partielle de la marque européenne MONOPOLY.

Analyse de la décision rendue

Après avoir rappelé que l’un des principes fondamentaux de l’Union européenne est de promouvoir et sauvegarder une concurrence effective sur le marché, la Chambre des Recours ajoute que les droits et pouvoirs conférés par les marques à leurs titulaires doivent être considérés à la lumière de cet objectif.

C’est en faisant la recherche de cet équilibre et en analysant les circonstances de l’espèce et les intentions du déposant au jour du dépôt (exposées par ce dernier lors de la procédure orale et des arguments écrits qui ont suivi), que la Chambre des Recours a considéré que la société Hasbro avait été « partiellement » de mauvaise foi en redéposant la marque européenne MONOPOLY.

  • Le déposant a tout d’abord indiqué avoir procédé à ce dépôt afin de désigner un libellé plus large de produits et services et, ainsi, répondre à une logique commerciale. Or, si la société Hasbro a effectivement déposé la demande de marque contestée pour désigner un libellé plus large, la Cour relève que de nombreux produits et services sont identiques ou, à tout le moins, très similaires à ceux déjà visés au sein des marques européennes MONOPOLY antérieures.
  • Ainsi, la Cour considère que les produits et services nouvellement désignés dans l’enregistrement contesté attestent de la volonté légitime de la société Hasbro de développer son activité commerciale et de protéger, le cas échéant, des produits et services qui n’étaient pas initialement visés au sein des marques antérieures et qui l’intéressent ou pourraient l’intéresser.

    S’agissant toutefois des produits et services déjà désignés dans les dépôts antérieurs, la Cour n’y voit ici qu’une simple répétition non justifiée par une quelconque stratégie de développement commercial. Au contraire, la Chambre des recours en conclut que la société Hasbro a éventuellement cherché à contourner l’obligation d’usage des produits et services désignés par les marques antérieures (enregistrées depuis plus de 5 ans) en les « dissimulant » dans l’enregistrement contesté aux côtés de nouveaux produits et services.
  • Le déposant a ensuite souligné que cette stratégie de dépôt avait également pour objectif d’entrainer une réduction des charges administratives liées aux enregistrements antérieurs et ainsi obtenir un portefeuille de marques cohérent.

    Toutefois, la Cour relève que les marques antérieures ont été renouvelées, ont continué à faire l’objet de surveillances et ont été invoquées comme bases à de nombreuses oppositions et ce, malgré le dépôt de la marque contestée. Or, l’ensemble de ces opérations emportent, bien au contraire, des charges administratives supplémentaires et conséquentes.
  • Suivant ce qui précède, le déposant a donc ajouté que ce dépôt – résultant d’une stratégie commune à de nombreuses entreprises – avait certes été effectué pour éviter d’avoir à prouver l’usage des marques antérieures et ainsi réduire les coûts et la durée des action engagées, mais pas seulement.

    Toutefois, la Cour considère que le fait que ce dépôt n’ait pas été uniquement motivé par la volonté de contourner l’obligation d’usage n’est pas acceptable en lui-même. De même, le fait que d’autres entreprises agissent régulièrement ainsi ne légitime pas davantage cette « stratégie ».
  • Enfin, le déposant estime que cette stratégie ne préjuge en rien l’absence d’usage sérieux de ses marques antérieures. Il souligne au contraire que l’usage de l’une de ses marques antérieures britannique a été prouvé dans le cadre de l’opposition formée contre la société Kreativni et que l’Office a reconnu la renommée de la marque MONOPOLY en raison de son usage intensif.

    La Cour rejette cet argument et rappelle à cet égard que la renommée de la marque MONOPOLY a été reconnue uniquement pour les jeux de société et non pas pour les autres produits et services concernés et désignés par les autres marques MONOPOLY de la société Hasbro.

Par conséquent, s’agissant des produits et services déjà visés par les marques antérieures, la Cour considère que cet enregistrement « répété » de la marque MONOPOLY ne suit pas une logique commerciale légitime et justifiée. Elle relève au contraire que cette pratique aurait pour finalité de servir à prolonger indéfiniment, de manière abusive et frauduleuse, le délai de grâce de cinq ans pour échapper à l’obligation légale d’usage sérieux des autres marques MONOPOLY antérieurement enregistrées.

C’est pourquoi la Chambre des Recours prononce l’annulation partielle de la marque européenne MONOPOLY contestée et ne maintient son enregistrement que pour les nouveaux produits et services non visés dans les marques antérieures.

Peut-être la décision de la Cour aurait-elle été différente si la société Hasbro avait déposé une version modernisée du signe MONOPOLY et visé une liste plus spécifique et moins large de produits et services. Cela aurait pu éventuellement contrebalancer les éléments évoqués ci-dessus et renforcer l’idée que la société Hasbro suivait une réelle logique commerciale – et donc légitime – en procédant à ce nouveau dépôt (comme cela a été jugé par exemple en 2012 dans la décision Pelikan, dans laquelle l’Office avait considéré que « la marque communautaire contestée ne saurait être considérée comme une simple demande réitérée faite de mauvaise foi (…) » et qu’ « il ressort que la volonté de l’intervenante était, avant toute chose, de déposer une marque modernisée couvrant une liste de services actualisée » – Décision du 13/12/2012, T-136/11).

Le marketing et le juridique sont donc étroitement liés et doivent être utilisés de façon combinée pour la défense de vos droits. Ainsi, en cas de dépôts « répétés », il est important d’adopter une stratégie qui dénote une réelle logique commerciale (légitime et justifiée) et de conserver tout document utile permettant de le démontrer dans l’hypothèse d’un litige. Toute l’équipe de Regimbeau se tient naturellement à votre disposition pour vous conseiller à ce sujet et notamment sur le type de documents à conserver à cet effet.