Le dépôt de matière biologique est une condition essentielle de suffisance de description… Même pour une matière biologique connue

La décision européenne T1045/16 rappelle que dans le cadre de brevet impliquant l’utilisation de matière biologique, seul un dépôt auprès d’une autorité de dépôt selon le Traité de Budapest permet de remplir la condition de suffisance de description et ce quand bien même ladite matière biologique était connue et référencée dans une collection publique avant le dépôt de la demande de brevet.

Paris, 11 mai 2021 La décision européenne T1045/16 rappelle que dans le cadre de brevet impliquant l’utilisation de matière biologique, seul un dépôt auprès d’une autorité de dépôt selon le Traité de Budapest permet de remplir la condition de suffisance de description et ce quand bien même ladite matière biologique était connue et référencée dans une collection publique avant le dépôt de la demande de brevet.

Le brevet EP 1 962 578 au nom de MONSANTO concerne un plant de melon  » …comprising an introgression from a plant of melon accession PI313970 « .

Ce brevet a fait l’objet d’une opposition et a été révoqué pour insuffisance de description en raison de l’absence de dépôt de matière biologique auprès d’une institution (à savoir : une autorité de dépôt) selon le Traité de Budapest.

Dans la procédure de recours, le breveté a argué que la matière biologique en question (« accession PI313970 ») était bien accessible au public au sens où elle pouvait « être commandée directement sur le site Web du US National Plant Germplasm System » et qu’elle était en outre largement décrite dans plusieurs publications scientifiques antérieures à la date de dépôt.

La Chambre de Recours de l’Office Européen des Brevets (OEB) a jugé que l’invention n’était pas suffisamment décrite.

La règle 31 de la Convention sur le Brevet Européen (CBE) précise que « lorsqu’une invention comporte l’utilisation d’une matière biologique à laquelle le public n’a pas accès et qui ne peut être décrite dans la demande de brevet européen de façon à permettre à un homme du métier d’exécuter l’invention, celle-ci n’est considérée comme suffisamment décrite que si un échantillon de ladite matière biologique a été déposé auprès d’une autorité de dépôt habilitée selon le Traité de Budapest ”.

Le breveté n’a pas contesté que le « US National Plant Germplasm System » n’est pas une autorité de dépôt habilitée selon le Traité de Budapest. Le breveté a fait cependant valoir que le dépôt d’un échantillon de la matière biologique (PI313970) permet la mise à disposition du public de ce matériel au sens de la règle 31 CBE puisqu’elle est accessible sans réserve.

De plus, selon le breveté, cette matière biologique était largement décrite dans la littérature scientifique et la tâche du « US National Plant Germplasm System » comprend bien le maintien de la diversité génétique des matières biologiques qui y sont déposées, en particulier pour éviter toute dérive génétique ou perte desdites matières biologiques.

Les opposants ont argué que la condition de suffisance de description s’entend par le fait que le matériel devait (i) être accessible au public avant la date de dépôt mais aussi et surtout (ii) qu’il devait le rester tout au long de la vie du brevet. Les opposants ont indiqué que seule une institution habilitée selon le Traité de Budapest permet de garantir la seconde condition (ii). En effet, le « US National Plant Germplasm System » n’a aucune obligation de garantir l’accès et la viabilité du matériel sur les vingt ans de la vie d’un brevet.

Les opposants ont conclu que l’exigence de dépôt de matière biologique selon le Traité de Budapest prévue dans la CBE ne pouvait pas être remplie par un dépôt auprès d’une institution n’ayant aucune obligation quant à la garantie d’accès et de viabilité du matériel et ce, durant toute la vie du brevet.

La Chambre de recours a tranché dans le sens des opposants.

La Chambre a-t-elle ainsi indiqué que “pour être considérée comme accessible au public au sens de la règle 31 CBE, une matière biologique doit donc être disponible de manière à permettre à l’homme du métier d’être certain de pouvoir l’obtenir au moins pendant la durée du brevet ».

La Chambre a ainsi conclu que seul un dépôt auprès d’une institution selon le Traité de Budapest permet de remplir cette condition.

Au passage, la Chambre a indiqué que l’argument du breveté selon lequel la matière biologique identifiée « PI313970 » était identifiée dans des publications scientifiques justifiant ainsi la disponibilité de ladite matière biologique au public au moment de ces publications – avant la date de dépôt de la demande de brevet – n’établit pas en soi que ledit matériel est accessible au public au sens de Règle 31 CBE, c’est-à-dire qu’elle ne garantit nullement l’accès et la viabilité du matériel pendant les vingt ans de la vie d’un brevet.

Cette décision n’apporte, en tant que telle, rien de très nouveau mais elle a le mérite de rappeler la notion « d’accessibilité au public » d’une matière biologique au sens de la suffisance de description pour des inventions prévoyant l’utilisation d’une telle matière biologique.

Ainsi pour garantir une suffisance de description, cette accessibilité au public doit être assurée non seulement avant la date de dépôt ou de priorité mais doit aussi perdurer (au minimum) pendant toute la durée de la vie du brevet.

L’attention des demandeurs est donc attirée sur le fait qu’un dépôt de matière biologique auprès d’une institution selon le Traité de Budapest, même s’il représente un coût, est la seule garantie pour satisfaire le critère de suffisance de description de l’invention, et qu’un tel dépôt doit être fait avant la date de dépôt ou de priorité.

Les équipes de Regimbeau suivent de près ces évolutions et sont à vos côtés pour vous accompagner et anticiper.