Inventeurs IA : l’Office Européen des Brevets remet les pendules à l’heure dans la décision DABUS

A l’issue d’une procédure orale très attendue, l’OEB a logiquement rappelé que seules des personnes physiques pouvaient être désignées comme inventeurs dans une demande de brevet européen même si des algorithmes d’intelligence artificielle étaient impliqués.

Paris – le 17 janvier 2020 – A l’issue d’une procédure orale très attendue, l’OEB a logiquement rappelé que seules des personnes physiques pouvaient être désignées comme inventeurs dans une demande de brevet européen même si des algorithmes d’intelligence artificielle étaient impliqués.

En fin d’année 2018, ont été déposées par Stephen L. Thaler deux demandes de brevet européen, EP 18 275 163 et EP 18 275 174, portant respectivement sur un récipient alimentaire ayant une forme fractale et des dispositifs et procédés pour attirer une attention accrue basés sur un signal lumineux ayant une dimension fractale d’environ 1,5 (l’exemple le plus connu étant une variante de la courbe de Koch, dont la forme est aussi présente dans les figures de la première demande comme exemple de récipient alimentaire ayant une forme fractale).

Mais ce qui a particulièrement attiré l’attention du grand public sur ces deux demandes de brevet, c’est qu’elles désignent toutes deux comme inventeur un algorithme d’intelligence artificielle (IA) appelé par son créateur, Stephen L. Thaler, « DABUS », pour Device for the Autonomous Bootstrapping of Unified Sentience.

Au-delà du coup marketing, cette initiative avait pour but, d’après les membres de The Artificial Inventor Project (un groupe de recherche sur le sujet des inventions réalisées par des algorithmes d’IA qui a pris en charge la défense des demandes de brevet déposées devant les différents offices), de soulever la question de la paternité des inventions par IA et de pousser les offices à faire évoluer leurs législations.

Des demandes de brevet similaires ont d’ailleurs aussi été déposées auprès d’autres offices de brevets, notamment aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.

Si, bien évidemment, la première question qui vient en tête est celle de la capacité ou non d’une IA à réellement inventer de manière autonome, et donc de l’honnêteté d’une telle désignation d’inventeur, l’Office Européen des Brevets s’est scrupuleusement borné à étudier sa légalité, conformément à la Règle 19(2) CBE qui prévoit que « L’Office européen des brevets ne contrôle pas l’exactitude de la désignation de l’inventeur ».

Ainsi, suite à cette désignation d’inventeur, la section de dépôt de l’OEB en charge de l’examen formel de ces deux demandes de brevet a convoqué le Demandeur à une procédure orale à Munich le 25 novembre 2019, au motif que la désignation d’inventeurs présentée ne respectait pas les dispositions de l’Article 81 et de la règle 19 CBE : la règle 19(1) CBE prévoit en effet que la désignation d’inventeur « doit comporter le nom, les prénoms et l’adresse complète de l’inventeur », ce qui n’est possible que pour un sujet de droit (disposant d’une personnalité juridique), excluant de facto une machine.

L’OEB a appuyé son argumentation en faisant référence aux Travaux Préparatoires de la CBE 1973, qui ont mis en avant les principes fondamentaux selon lesquels le droit au brevet européen appartient à l’inventeur ou à son ayant cause (Article 60 CBE), et l’inventeur a un droit moral d’être désigné en tant que tel (Article 62 CBE) : or seule une personne physique dispose à la fois d’un droit moral et d’un droit patrimonial.

Et quand bien même une machine pourrait avoir un droit patrimonial sur l’invention, il faudrait qu’elle ait la capacité juridique de le transmettre au Demandeur par contrat de travail ou succession.

En outre, l’OEB rappelle que les Travaux Préparatoires utilisent à plusieurs reprises le mot « personne » pour l’inventeur, voir également la règle 21 CBE et les décisions J 7/99 et J 8/82.

En réponse, le Demandeur a argumenté qu’il n’y avait aucune disposition légale explicite selon laquelle une IA ne devrait pas être reconnue comme inventeur ou selon laquelle l’inventeur devrait spécifiquement être un humain, mais par contre une obligation morale d’identifier le véritable inventeur.

Il a de plus ajouté que même si les IA n’ont pas de nom ou de prénom, il en va de même pour certaines catégories d’humain et qu’il ne serait pas correct de refuser à ces personnes le droit d’être nommé comme inventeur pour cette raison.

On notera que le Demandeur reste conscient de la fragilité de sa position, dans la mesure où il a longuement invoqué la nécessité d’une évolution du droit en faveur d’une reconnaissance des inventeurs IA pour suivre les évolutions technologiques actuelles.

Lors de la procédure orale ces arguments ont été répétés, et à l’issue de courtes délibérations le Président de la section de dépôt a annoncé, comme on pouvait s’y attendre, le rejet des deux demandes de brevet sur la base d’un défaut de la désignation de l’inventeur.

L’OEB n’a pas encore publié la décision écrite correspondante, mais celle-ci devrait arriver dans les prochains jours. On comprendra en outre qu’il s’agit d’une décision de première instance, par conséquent susceptible de recours. 

L’affaire est donc à suivre et nous ne manquerons pas de vous tenir informés.