Le 28 janvier 2022, la Cour d’Appel de Paris rendait une décision autant didactique qu’intéressante en matière de dessins et modèles¹ et qui en cela garde toute son actualité.

Pourquoi didactique ?

En effet, la plupart des fondements classiques des actions en contrefaçon et parasitisme ont été examinés sur la forme et sur le fond analysant ainsi les arguments souvent invoqués par les défendeurs et contre lesquels les titulaires de droit doivent s’armer.

Un bref rappel des faits tout d’abord 

Après avoir procédé à des saisies-contrefaçon, les sociétés Decathlon ont assigné les sociétés Phoenix Group et Intersport France en contrefaçon, concurrence déloyale et parasitisme de leur modèle communautaire n°002526699-0001 enregistré le 28 août 2014 représentant un masque de plongée intégral subaquatique appelé « Easybreath ». La première société avait fourni à la seconde qui les a commercialisés des masques fortement ressemblant au modèle communautaire de Decathlon.

En réponse, la société Intersport France avait sollicité la nullité du modèle communautaire n°002526699-0001 pour dépôt frauduleux, absence de nouveauté, absence d’unicité et de clarté du dépôt, absence de considérations esthétique du modèle et donc de validité du modèle. Elle avait contesté ensuite les griefs de contrefaçon, concurrence déloyale et parasitisme qui lui étaient reprochés.

Dans le jugement rendu le 14 février 2020 par le Tribunal judiciaire de Paris, ce dernier ne reconnaissait pas la contrefaçon des masques, ni la concurrence déloyale, mais le parasitisme, condamnant les sociétés Intersport France et Phoenix Group au paiement de dommages et intérêts.

La Cour d’Appel a examiné à nouveau chacun des points soulevés.

Pas de nullité pour dépôt frauduleux du modèle attaqué

La mauvaise foi devient un argument fréquemment invoqué devant les tribunaux, encore faut-il en démontrer que toutes les conditions sont remplies. La Cour d’Appel a rappelé qu’il n’y a pas de disposition relative à la mauvaise foi en droit des dessins et modèles – à la différence du droit des marques – et que si la fraude devait être une cause de nullité, en l’espèce elle n‘était pas caractérisée.

En effet, le simple fait de procéder à un nouveau dépôt de modèle communautaire moins d’un an après un autre dépôt de modèle communautaire portant également sur masque de plongée, mais dont les vues et certaines des caractéristiques diffèrent, ne démontre pas la volonté des sociétés Decathlon de porter atteinte aux usages honnêtes ou aux intérêts de tiers ni de tenter d’obtenir un avantage indu ou un droit exclusif à d’autres fins que celles de la protection d’un modèle.

Pas de nullité pour défaut de clarté et d’unicité du modèle attaqué

La représentation d’un dessin ou modèle se doit d’être suffisamment claire et précise afin de déterminer facilement l’étendue de la protection allouée. En l’espèce, la Cour d’Appel a estimé que la représentation du modèle communautaire de Decathlon qui présente sept vues était suffisamment claire et précise pour déterminer les caractéristiques composant le modèle. Elle a confirmé le jugement qui avait écarté ce motif de nullité.

Pas de nullité pour défaut de nouveauté du modèle attaqué du fait d’une autodivulgation

La Cour d’Appel a précisé que les sociétés Decathlon, en qualité d’ayants-droits, pouvaient se prévaloir du délai de grâce de 12 mois précédant le dépôt du modèle dans lequel s’est produit leur autodivulgation. Celle-ci n’était donc pas destructrice de nouveauté du modèle communautaire attaqué.

Pas de nullité du fait de la présence de considérations techniques du modèle attaqué, mais qui ne sont pas exclusivement dictées par la fonction technique du produit

Dans le domaine des dessins et modèles, il n’est pas possible d’obtenir de droit sur des caractéristiques techniques ou fonctionnelles de l’apparence du produit sur lequel le droit se fonde si elles sont exclusivement imposées par la fonction technique de ce produit.

Le modèle communautaire attaqué représentant un masque de plongée subaquatique comporte certes des éléments dictés par la technique – comme en témoignent des brevets déposés par les sociétés Decathlon – mais aussi des éléments dictés par des considérations esthétiques. La Cour a retenu que la vitre intégrale, la forme et la transparence du tuba permettent d’alléger l’esthétique global du masque et représentent des caractéristiques esthétiques. Ce motif de nullité a donc également été écarté par la Cour d’Appel, confirmant le jugement sur ce point.

Il est intéressant de voir que, concernant ce dispositif, la cour s’est justifiée en précisant qu’il n’existe pas de notion « d’observateur objectif » sur lequel il faut se baser pour analyser les dessins et modèles, à la différence des brevets où il y a la notion de « l’homme du métier » pour la condition de l’activité inventive ou en marques où la notion de « consommateur moyen » est fondamentale.

Pas d’actes de contrefaçon commis par les sociétés Intersport France et Phoenix Group

La Cour a rappelé que la portée de la protection d’un modèle devait être appréciée en tenant compte de la liberté du créateur dans l’élaboration du dessin & modèle, et que la contrefaçon est écartée lorsque l’objet litigieux produit sur l’utilisateur averti une impression visuelle globale différente.

En l’espèce il est retenu que l’utilisateur averti est à la fois le plongeur et les professionnels louant du matériel pour cette activité.

Enfin, la comparaison des produits s’effectue au regard des caractéristiques qui doivent être énumérées du modèle communautaire. Si certaines caractéristiques de celles sont effectivement reprises par les masques litigieux, elles ne concernent que celles qui sont imposées par la fonction technique du produit. Dès lors, elles n’ont pu être considérées comme contrefaisantes.

Par ailleurs, les autres caractéristiques plus esthétiques du modèle communautaire invoqué à l’appui de l’action en contrefaçon divergeaient suffisamment des masques incriminés pour produire une impression visuelle d’ensemble différente.

Par conséquent, la Cour d’Appel a confirmé le jugement rendu par le Tribunal et débouté les sociétés Decathlon de leur demande en contrefaçon.

Pas d’actes de concurrence déloyale

Les actes de concurrence déloyale n’ont pas été reconnus du fait de l’absence d’agissement fautif des défenderesses, les différences retenues entre les produits permettant de ne pas créer de risque de confusion avec les masques de Decathlon. Le jugement du tribunal a donc été infirmé par la Cour d’appel sur ce motif.

Mais des actes de parasitisme reconnu par les sociétés Intersport France et Phoenix Group

Il restait à déterminer si, en revanche, ces sociétés avaient capté les investissements de Decathlon pour ce produit phare. Les sociétés Decathlon ont bien démontré que leur masque de plongée subaquatique avait rencontré un succès commercial dès sa commercialisation, générant un chiffre d’affaires important. Cela était corroboré par des articles de presse mentionnant ce masque comme un produit phare des sociétés Decathlon, la connaissance par un large public, et des investissements publicitaires importants, contrairement à ceux opérés par les sociétés Intersport France et Phoenix Group.

La Cour a alors confirmé le jugement en ce que les sociétés Intersport France et Phoenix Group s’étaient positionnées dans le sillage des sociétés Decathlon en produisant et commercialisant un modèle de masque présentant des similitudes avec le masque « Easybreath », protégé par un modèle communautaire.

En conséquence, les sociétés Intersport France et Phoenix Group ont été condamnées in solidum à payer aux sociétés Decathlon la somme de 100 000 € en réparation du préjudice subi par les actes de concurrence parasitaire, sans augmenter toutefois le quantum, un montant de 600 000 € ayant été sollicité sur ce grief.


¹Références de la décision : Décision de la Cour d’Appel de Paris, pôle 5, chambre 2, en date du 28 janvier 2022 n° RG 20/04831

Publié par

Maïna Guennoc

Juriste en propriété industrielle

À retenir

Il est ainsi intéressant de voir que si la production et la commercialisation d’un produit similaire à celui commercialisé par un concurrent ne sont pas répréhensibles au titre de la contrefaçon ou de la concurrence déloyale, elles peuvent l’être au titre du parasitisme lorsque sont démontrés des actes consistant « pour un opérateur économique à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis ».