MODELE présentant une fonction technique : L’appréciation de sa protection – Une question désormais tranchée par la Cour de Justice de l’Union Européenne

La Cour de Justice de l’Union européenne vient de rendre une décision intéressante et attendue portant sur l’exclusion des formes fonctionnelles par le droit des dessins et modèles et le caractère non déterminant de l’existence de dessins ou modèles alternatifs (CJUE, 2ème chambre, 8 mars 2018, Aff C-395/16).

Paris, le 13 avril 2018 – La Cour de Justice de l’Union européenne vient de rendre une décision intéressante et attendue portant sur l’exclusion des formes fonctionnelles par le droit des dessins et modèles et le caractère non déterminant de l’existence de dessins ou modèles alternatifs (CJUE, 2ème chambre, 8 mars 2018, Aff C-395/16).

La décision rendue porte sur l’interprétation de l’article 8, paragraphe 1 du règlement (CE) n°6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires, selon lequel « un dessin ou modèle communautaire ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l’apparence d’un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique ».

Malgré de nombreuses discussions portant sur l’application pratique de cette exclusion, aucune interprétation unique et cohérente n’existait jusqu’à ce jour. En effet, deux théories principales s’affrontaient pour démontrer que le dessin ou modèle en cause n’avait pas été imposé exclusivement par sa fonction technique :

  • La première consistait à appliquer le critère dit de « la multiplicité des formes » : la fonction technique du dessin ou du modèle en cause pouvait être obtenue par une autre configuration (autrement dit, un dessin ou modèle alternatif) ;

  • La théorie opposée rejetait au contraire le critère précédent et considérait qu’il suffisait de rechercher s’il existait, dans la conception du dessin ou modèle, d’autres considérations (notamment esthétiques) que la fonction technique.

Cette décision de la Cour de Justice de l’Union européenne arrive donc à point nommé et permet d’éclaircir définitivement cette zone d’ombre.

Dans cette affaire, la société DOCERAM détenait des dessins et modèles enregistrés pour des tiges centrales de formes géométriques. Constatant que la société CERAMTEC fabriquait et commercialisait des tiges quasiment identiques, la société DOCERAM a initié une action en cessation à l’encontre de celle-ci pour violation de ses dessins et modèles. La défenderesse a alors initié une action reconventionnelle en déclaration de nullité desdits dessins et modèles, considérant que les caractéristiques de l’apparence des produits concernés étaient imposées exclusivement par leur fonction technique.

Après une première décision rendue au fond, le Tribunal régional supérieur de Düsseldorf a sursis à statuer et interrogé la Cour de Justice de l’Union européenne sur le point de savoir si l’existence de dessins ou modèles alternatifs est déterminante pour apprécier si les caractéristiques de l’apparence d’un produit sont exclusivement imposées par la fonction technique de celui-ci. En outre, le Tribunal souhaite savoir comment cette appréciation doit être effectuée.

La Cour de Justice de l’Union européenne a définitivement tranché le débat en énonçant que l’article 8, paragraphe 1 du règlement n°6/2002 doit être compris en ce sens que, « pour apprécier si des caractéristiques de l’apparence d’un produit sont exclusivement imposées par la fonction technique de celui-ci, il y a lieu d’établir que cette fonction est le seul facteur ayant déterminé ces caractéristiques, l’existence de dessins ou modèles alternatifs n’étant pas déterminante à cet égard ».

Autrement dit, l’existence de dessins ou modèles alternatifs permettant d’assurer cette même fonction technique n’a aucune incidence déterminante sur cette appréciation et ne permet pas de relativiser, voire d’annuler, le caractère exclusivement fonctionnel du produit.

Toutefois, la Cour précise que l’appréciation des caractéristiques de l’apparence du produit doit se faire in concreto, au regard de « circonstances objectives pertinentes du cas d’espèce ». Les dessins ou modèles alternatifs peuvent donc éventuellement être pris en compte, aux côtés d’autres éléments, afin d’étayer cette appréciation.

La Cour rappelle donc ici l’esprit du droit des dessins et modèles, lequel vise à protéger et favoriser le développement de produits industriels revêtus d’une apparence libre et créative. Par ce principe, également appliqué en droit des marques (tout le monde se souvient ici de la célèbre affaire LEGO – CJUE, 14 septembre 2010, Aff C-48/09), le droit des dessins et modèles refuse d’accorder une protection aux formes strictement fonctionnelles et techniques afin de ne pas entraver l’innovation technologique en ce domaine.

Dès lors, nous tenons à attirer votre attention sur la portée de cette décision et ses conséquences pratiques non négligeables.

En effet, certains sont tentés d’essayer d’obtenir une protection au titre du dessin ou modèle communautaire sur un aspect fonctionnel afin d’échapper aux conditions plus drastiques applicables à l’obtention d’un brevet et pour bénéficier d’une protection plus longue que celle offerte par un brevet (soit 5 années supplémentaires).

Or, les demandes d’enregistrement de dessins ou modèles ne sont soumises auprès de l’Office qu’à un examen de forme limité et l’obtention du droit n’interdit pas aux tiers de contester ultérieurement la validité du dessin ou modèle en question. Ainsi, l’annulation de l’enregistrement peut s’avérer être économiquement dramatique face aux investissements opérés et à la concurrence aux aguets.

Dès lors, au lieu de miser sur une protection éventuellement incertaine par le biais de dessins ou modèles, il est toujours prudent de privilégier une analyse préalable de votre projet et notamment de ses aspects fonctionnels pour s’orienter vers une protection sûre et durable de ce projet par les droits les plus appropriés. Ainsi, il pourrait être dans certains cas plus judicieux de rechercher une protection complémentaire par le biais d’un brevet, sous réserve bien évidemment que les conditions de la brevetabilité soient remplies.