Marque et usage : Rien ne sert de déposer, encore faut-il exploiter votre marque !

Que ce soit pour justifier de son droit, pour obtenir l’enregistrement d’une marque, le maintenir en vigueur ou éviter une action en déchéance, il est toujours nécessaire de pouvoir présenter des preuves d’usage de sa marque.

Que ce soit pour justifier de son droit, pour obtenir l’enregistrement d’une marque, le maintenir en vigueur ou éviter une action en déchéance, il est toujours nécessaire de pouvoir présenter des preuves d’usage de sa marque. Finalités différentes, mais impératif sans appel… Titulaires, à vos archives !

En France et au niveau communautaire, la preuve d’un tel usage sera indispensable en cas d’action (action en annulation, opposition, action en contrefaçon…), car l’acquisition du droit, lui, se fait par le dépôt. Par contre, aux Etats-Unis, ces preuves seront nécessaires à l’enregistrement et au maintien en vigueur de la marque.

Ainsi, il s’avère essentiel de connaître les éléments de preuve admissibles selon les systèmes, afin de pouvoir les recueillir et d’être en mesure de les présenter afin d’éviter une action en déchéance ou dans certains pays, tout simplement, de pouvoir maintenir le droit en vigueur.

I – Sur le plan français et communautaire

A – Un usage effectif et sérieux pendant 5 ans

Selon l’article 15 du Règlement du Conseil relatif à la Marque Communautaire n°40/94 et l’article L. 714-5 du Code de la Propriété Intellectuelle :

« Le propriétaire d’une marque qui, sans juste motif, n’en a pas fait un usage effectif et sérieux, pour les produits et services désignés, pendant une période ininterrompue de cinq ans à compter de l’enregistrement, encourt la déchéance de ses droits ».

(Article L.714-5 CPI).

Il s’agit notamment d’un moyen classique de défense, que le défendeur d’une action en contrefaçon ou opposition peut soulever.

L’impératif, pour le titulaire de droit, va donc être de pouvoir démontrer, par tout moyen, un usage sérieux (ce qui ne veut pas dire public) de la dénomination invoquée à titre de marque, c’est-à-dire comme indication d’origine des produits et services concernés permettant de les distinguer de ceux de ses concurrents, et non pas un usage symbolique, ayant pour seul objet le maintien des droits crées par la marque.

A titre préliminaire, nous pouvons d’ores et déjà mentionner que devant l’INPI, le niveau d’exigence est relativement limité, l’INPI n’étant pour l’instant encore pas juge de la déchéance, compétence qui devrait à terme lui revenir.

Au contraire, l’OHMI et les tribunaux exigent de plus en plus de preuves.

B – Quelles preuves ?

Les preuves les plus pertinentes seront donc celles datées, faisant apparaître la marque et identifiant clairement les produits et/ou services auxquels elle se rattache.

Il est donc utile de rappeler que l’appréciation de cet usage se fait au regard des produits et services désignés.

Les preuves doivent ainsi comprendre des « indications sur le lieu, la durée, l’importance et la nature de l’usage qui a été fait de la marque antérieure pour les produits et services pour lesquels elle est enregistrée et sur lesquels l’action est fondée ».

Ces preuves peuvent être constituées, à titre d’exemple, par les éléments suivants, faisant apparaître clairement la marque :

  • Des catalogues,
  • Des factures,
  • Des emballages,
  • Des étiquettes,
  • Des barèmes de prix,
  • Des photographies,
  • Des annonces dans les journaux,
  • Des déclarations écrits sur l’honneur ou solennelles,
  • Des relevés Médiamétrie créditant d’une certaine audience,
  • Des preuves de l’exploitation du nom de domaine rattaché à la marque,
  • Sondages : toujours plus appréciés lorsqu’ils proviennent d’Instituts indépendantes (nous consulter afin de connaître comment optimiser ce type de preuve),
  • Publicité (ne suffira pas à elle seule).

L’usage pour certains produits et services uniquement

Alors que l’INPI dans le cadre d’opposition se contente de preuves très succinctes de l’usage de la marque pour une seule catégorie de produits ou services, quand bien même le libellé est beaucoup plus large, l’OHMI a depuis les arrêts

  • CJCE 13/03/2003 ANSUL C-40/01
  • TPICE 12/03/2003 SILK COCOON T-174.01
  • TPICE 14/07/2005 ALADIN T-126/03

admis que La preuve de l’usage de produits spécifiques n’entraînait pas la perte des droits du titulaire si ces produits appartenaient à une catégorie désignée plus large suffisamment « précise et circonscrite ». Les règles ont ainsi été rappelées clairement dans une décision OHMI 10/02/2015 FRESH CLEAN.

Elles ne doivent pas être déposées sans analyse auprès de l’OHMI, mais de façon à permettre à l’Office de comprendre clairement à quels produits elles se rattachent (Décision Galileo 1ère Chambre de Recours du 11 juin 2015 R1840/2011-1).

Des débuts d’exploitation ?

Un début d’exploitation sérieux de la marque pourra être considéré comme pouvant faire échec à une demande en déchéance.

Les éléments suivants ont déjà été acceptés comme suffisants pour démontrer un tel début d’exploitation :

  • Des pourparlers avec des revendeurs,
  • Des courriers divers attestant de l’exploitation sérieuse,
  • L’impression d’étiquettes, accompagnée de publicité à la radio,
  • L’impression d’un catalogue ;
  • L’envoi de factures,
  • L’établissement de tarifs et attestations de Clients,
  • Démarches administratives,
  • Commande importante d’emballages pour les produits avec la marque apposée dessus.

Ainsi, il est important d’avoir à l’esprit que ces preuves peuvent être constituées dès les premiers instants de toute activité.

Importance de l’usage

Nous relevons néanmoins une grande sévérité lorsque les actes d’usage sont trop isolés :

  • Des livraisons de quantités dérisoires de produits à la clientèle,
  • Publicités sporadiques et non suivies d’effet,
  • Etablissement de rares factures,
  • Seule conclusion de contrats de licence

Néanmoins, les instances françaises et communautaires ne déterminent pas de seuil quantitatif pour savoir s’il y a eu, ou pas, un usage sérieux de la marque, ce qui leur permet de conserver une large marge d’appréciation, variant notablement selon les produits et le contexte.

Principe d’interdépendance

Le caractère sérieux de l’usage de la marque doit faire l’objet d’une appréciation globale en tenant compte de tous les facteurs pertinents. Cette appréciation implique une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte.

Ainsi, un faible volume de produits commercialisés peut être compensé par une forte intensité ou une certaine constance dans le temps de l’usage de cette marque et inversement, à ne pas oublier !

Il est également important de savoir que :

  • En raison du principe de territorialité, toute exploitation de la marque à l’étranger (pour les marques françaises) ou dehors de la Communauté (pour les marques communautaires) ne sera pas prise en compte par les Juges et Examinateurs. (Voir CA Paris, 20 janvier 2006). Au niveau communautaire et depuis l’arrêt ONEL CJUE 19 déc. 2012 aff. C-149/11, Leno Merken, l’usage doit être considéré comme sérieux s’il établit la volonté du titulaire de créer ou maintenir des parts de marché. L’appréciation étant portée en faisant abstraction des frontières des Etats membres et en l’analysant selon plusieurs critères : la portée territoriale mais aussi les caractéristiques du marché en cause, la nature des produits et services en cause, l’étendue quantitative, la fréquence et la régularité de l’usage, aucune précision sur ce point n’est apportée par la réforme communautaire ;
  • L’article L. 714-5 al 2, c) assimile à l’exploitation « l’apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement, exclusivement en vue de l’exploitation ». Ainsi, le seul point de contact avec la France se résumant à la fabrication sera suffisant.
  • Des actes d’usage effectués par un tiers autorisé (par exemple un licencié) permettront d’échapper à la déchéance de la marque concernée (article L. 714-5 al 2, a)) (CA Paris, 18 février 2005, Lidl Stiftung and Co).
  • L’usage doit être réalisé à titre de marque et non de dénomination sociale pour répondre à la fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits et services.

Les Juges et Examinateurs vont donc utiliser un faisceau d’indices afin de déterminer s’il y a eu, ou pas, un usage sérieux de la marque concernée. Le seuil minimum semble être le contact, à terme (certain et non hypothétique) des produits et services avec la clientèle.

Il faut donc rassembler des éléments de qualité, en quantité.

Le point sur les « familles de marques » et le l’usage d’une marque sous une forme modifiée.

Une marque utilisée depuis des années peut évoluer dans le temps (changement de politique commerciale du titulaire ou encore volonté de lui donner un « coup de jeune »).

Afin que les droits du titulaire sur la première marque ne soient pas déchus, l’article L714-5 b) du CPI ainsi que l’article 15-2 a) du RMC prévoient qu’est assimilé à un usage sérieux, l’usage d’une marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif.

L’interprétation de ces articles a posé des difficultés ces dernières années dans les cas où les différentes formes modifiées étaient également enregistrées à titre de marque.

En effet, la Cour de Justice de l’Union Européenne, dans sa décision dite « Bainbridge » (CJUE 13 septembre 2007) a jugé que l’usage de la marque verbale enregistrée « The bridge » ne peut être regardé comme l’exploitation de la marque enregistrée semi-figurative « The Bridge », l’article 15-2 a) du RMC ne permettant pas « d’étendre, par la preuve de son usage, la protection dont bénéficie une marque enregistrée à une autre marque enregistrée dont l’usage n’a pas été démontré, au motif que cette dernière ne serait qu’une légère variante de la première ».

Toutefois l’arrêt IL PONTE FINANZIARA de la CJUE du 13.09.07 a précisé que le dépôt de marques parallèles ne constituait pas un motif permettant d’échapper à l’obligation de prouver l’usage de chaque marque.

Toutefois la Cour de Justice de l’Union Européenne dans l’arrêt du 25 octobre 2012 « Rintisch » a validé une marque PROTI alors que les marques exploitées étaient PROTI PLUS et PROTI POWER.

Cette jurisprudence apporte une certaine souplesse en cas de modification de la marque lors de son usage, que les versions modifiées soient ou non déposées. Cette souplesse est conservée telle quelle dans le projet de réforme de la marque communautaire.

Usage en tant qu’élément d’une marque complexe en droit communautaire

Un arrêt Colloseum/Levi Strauss CJUE 18 avril 2013 Aff. C-12/12 a aussi admis que l’usage d’un élément d’une marque complexe pouvait suffire à prouver l’usage sérieux d’une marque dès lors que le signe peut être perçu comme une indication d’origine. Cet arrêt est dans la lignée de la décision « HAVE A BREAK » du 7 juillet 2005 précisant que « le caractère distinctif d’une marque peut être acquis en conséquence de l’usage de cette marque en tant que partie d’une marque enregistrée ou en combinaison avec celle-ci. »

II – Aux Etats-Unis

Dans les pays anglo-saxons, l’usage dans la vie des affaires est un mode d’acquisition du droit (Australie, Canada, Etats-Unis, GB, Hong-Kong, Inde, Irlande, NZ…) et doit être prouvé régulièrement pour son maintien.

L’examen des preuves aux Etats-Unis est très sévère et nous recensons des résultats souvent décevants pour les titulaires.

Les moyens de preuves admis aux Etats-Unis ne seront pas les mêmes en fonction de la nature de la marque concernée, ainsi :

Pour les marques de produits, il sera impératif de présenter des preuves matérielles de l’usage de la marque sur les produits visés, il pourra s’agir :

  • Du produit lui-même,
  • Des étiquettes, packagings,
  • Des notices d’usage contenant le produit et la marque,
  • Des présentoirs,
  • Des catalogues, à condition qu’ils fassent bien apparaître la marque ainsi que les produits (ou photos des produits) qui y sont rattachés. Ce catalogue doit contenir suffisamment d’indices pour pouvoir identifier l’entreprise demandeur (numéro de téléphone ou adresse email).
  • Des photos montrant la marque sur les produits vendus.

Moyens de preuves déjà refusés : attention, pas de factures !

Pour que les preuves récoltées et conservées soient des plus pertinentes, nous vous signalons des exemples de preuves déjà refusés aux Etats-Unis : publicités, factures, bons de commande, extraits de sites Internet, brochures.

Nous pouvons donc constater que des preuves admises en France, telles que des factures, seront refusées aux Etats-Unis et que des moyens de preuves admis aux Etats-Unis pour des marques de produits ne le seront pas pour des marques de service.

Pour les marques de service, les preuves devront faire apparaître la marque (sous la forme et l’orthographe conformes à l’enregistrement demandé), ainsi qu’une description des services.
Par exemple :

  • Campagnes de publicité,
  • Labels faisant figurer la marque attachée aux produits,
  • Sites Internet (si bien identifiés).

Pour une meilleure stratégie, voici également quelques exemples de preuves refusées : factures, extraits de sites Internet, publicités sans rapport avec les services, des preuves faisant apparaître un signe annoté, ou un logo ajouté.

Ainsi, il est impératif de se constituer un large éventail de preuves aux Etats-Unis également, non seulement pour obtenir un droit mais également pour son maintien car, un non-usage de la marque pendant 3 ans crée une présomption d’abandon de la marque.

En outre, un enregistrement obtenu pour des produits et services pour lesquels il n’y a aucun usage ni aucune intention d’usage peut être invalidé dans sa totalité.

Il est donc fortement recommandé d’utiliser la marque telle que demandée et enregistrée pour tous les produits ou services, et de la distinguer, dans toute communication, du texte d’accompagnement. Il est par exemple préférable de faire figurer la marque en gras, en lettres capitales ou encore en italiques, associée au signe « ® » si la marque est enregistrée ou « TM » si la marque ne l’est pas encore.

Attention aux déclarations à fournir aux USA pour déposer ou maintenir une marque !

La juridiction américaine n’hésite pas en effet à invalider une marque dans sa totalité, alors même qu’elle est exploitée pour une partie des produits et services, considérant que le déposant a commis une fraude dans la déclaration qu’il a remplie au moment du dépôt de la marque (arrêt MEDINOL Ltd contre NEURO VASX Inc TTAB 2003).

Un arrêt plus récent du 13 mai 2009, ZANELLA contre NORDSTROM, avait été plus souple et examiné si le déposant, qui après un dépôt assez large, avait limité ensuite son libellé, avait l’intention en cela de tromper l’Office et a admis dans ce cas qu’il n’y avait pas eu fraude. Mais, dans un arrêt antérieur du 8 avril 2009 portant sur un dépôt fondé sur l’intention d’usage, le TTAB avait au contraire considéré que le déposant n’avait pas eu l’intention réelle d’utiliser sa marque aux Etats-Unis au moment de son dépôt (arrêt HONDA MOTOR Co. Ltd v. Winkelmann, Opposition N° 91170552) et invalidé totalement la marque.

Cela dénote qu’en cas d’opposition ou de conflit, chaque déclaration est analysée avec soin en fonction du cas d’espèce et peut entraîner la perte des droits en cas d’inadéquation de la déclaration fournie avec la réalité.

Les USA peuvent être couverts par une marque internationale, le dépôt d’une déclaration d’usage est également requis et ce, en plus des formalités de renouvellement de la marque internationale, les délais pour réaliser ces opérations étant clairement dissociés.

Aussi pour éviter tout débat sur ce point lorsque vous devrez invoquer vos marques aux Etats-Unis, nous vous invitons à ne désigner dans vos demandes de marques américaines que les produits et services pour lesquels vous avez un usage réel ou une intention réelle de les utiliser. Toute déclaration d’usage doit en outre être préparée avec attention.

III – Canada

Dans ce pays, comme aux Etats-Unis, il convient d’indiquer dès le dépôt si la marque repose sur une intention d’usage au Canada (1), un usage dans ce pays (2), ou encore un enregistrement de marque dans le pays d’origine du déposant et un usage dans n’importe quel autre pays (3).

Si le Déposant n’a aucun usage et pas de projet précis au Canada, il était possible d’après les directives de l’Office canadien, de compléter le dépôt en mentionnant l’enregistrement dans le pays d’origine et un usage ailleurs jusqu’au moment de la publication de la demande canadienne, mais il n’était pas précisé si l’usage de la marque devait avoir lieu avant la date de dépôt au Canada.

Un arrêt rendu au Canada dans l’affaire The Thymes LLC v Reitmans Canada Limited, 2013 FC 127, mentionne que la marque doit être utilisée (quel que soit le pays) au moment du dépôt de la marque au Canada. En tout état de cause, cet arrêt est susceptible de remettre en cause la validité des enregistrements canadiens qui auraient été faits sur cette base alors que l’usage n’avait pas encore démarré dans quelque pays que ce soit.

Nous sommes par conséquent à votre disposition pour examiner avec vous les bases invoquées ou à invoquer lors de vos dépôts de marque au Canada.

Il est donc temps de commencer à constituer ou perfectionner de solides dossiers retraçant les principaux actes d’exploitation de vos marques : actes matériels non équivoques démontrant votre volonté d’exploiter réellement votre marque.

Nous pouvons vous aider à trier et conserver vos preuves d’usage, ainsi que vous conseiller sur leur pertinence…n’hésitez pas à nous contacter !!!

Publié par

Julie Brun

Conseil Senior

Esther Dupain

Conseil Senior

Caroline Huguet-Braun

Responsable du Bureau de Rennes

Evelyne Roux