La difficile distinctivité des marques composées de noms de pays

Dans ses décisions ICELAND, la Grande Chambre des Recours de l’EUIPO remet en avant les critères permettant de déterminer si une marque composée d’un nom géographique est ou non descriptive. Elle confirme à cette occasion que si l’enregistrement de noms de pays à titre de marque n’est pas impossible, il reste néanmoins fortement restreint.

En 2002 et 2013, la chaîne de supermarchés britannique Iceland Foods Ltd. sollicite l’enregistrement des marques de l’Union européenne verbale et semi-figurative ICELAND et , qu’elle obtient en 2014.

La société s’appuie par la suite sur ces marques pour s’opposer à plusieurs demandes d’enregistrement contenant le terme « ICELAND ». L’on peut citer parmi celles-ci les marques ICE LAND, ICELANDER ou encore ICELAND GOLD, dont l’enregistrement a été refusé par les offices.

Face à cette stratégie offensive, plusieurs demandeurs, dont le ministère des Affaires Etrangères d’Islande, forment en 2016 et 2018 des actions en nullité contre les marques ICELAND pour défaut de caractère distinctif.

Ils invoquent pour ce faire l’article 7(1)(c) du Règlement sur la marque de l’Union européenne, selon lequel sont notamment refusées à l’enregistrement les marques composées exclusivement de signes pouvant servir à désigner la provenance géographique du produit ou du service.

La nullité des deux marques ICELAND est prononcée par la Division d’Annulation de l’EUIPO dans des décisions d’avril et de mai 2019, contre lesquelles des recours seront formés par Iceland Foods Ltd.

C’est le 15 décembre 2022 que la Grande Chambre des Recours se prononce finalement sur la distinctivité des marques dans ses décisions R 1238/2019-G (pour la marque ICELAND, dont les paragraphes sont ceux mentionnés ci-après) et R 1613/2019-G (pour la marque ).  

Dans ces décisions similaires, la Grande Chambre rappelle dans un premier temps que si l’enregistrement de noms de pays à titre de marque n’est pas prohibé, il convient de se demander s’il est dans l’intérêt général de permettre la monopolisation de noms de pays membres de l’Union européenne et de l’Espace Economique Européen, lesquels constituent des lieux géographiques très familiers pour le public européen (paragraphe 97).

La Chambre poursuit en rappelant (paragraphe 104) que, face à un signe contenant un nom géographique, il convient d’appliquer les critères mis en lumière dans l’arrêt Chiemsee (04/05/1999, affaires C-108/97 et C-109/97), et ainsi de se demander :

  • Si le signe est identifié par le public pertinent comme faisant référence à un lieu géographique ;
  • Si, aux yeux du public intéressé, le nom géographique a un lien avec les produits et/ou services concernés, ou s’il est raisonnable de le supposer ;
  • En effectuant ces appréciations, il convient de prendre en compte le niveau de connaissance qu’a le public pertinent de ce nom géographique.

Dans une analyse détaillée, la Grande Chambre applique ensuite ces critères aux marques ICELAND contestées :

  • D’une part, s’agissant du signe, elle souligne que le public européen concerné identifie clairement le terme « ICELAND » comme correspondant au nom d’un pays. Elle poursuit en reconnaissant que le public pertinent européen a un niveau de connaissance élevé de l’Islande, qu’il associe à des paysages composés de volcans, de glaciers et de sources chaudes, ainsi qu’à la pêche et à des valeurs d’éco-qualité et de durabilité.
  • D’autre part, s’agissant du lien entre le signe et les produits et services, elle relève que « ICELAND », en raison de l’image du pays, pourrait être considéré comme indicatif de l’origine géographique des produits alimentaires, ménagers, de papeterie et des services de vente couverts par les marques en cause.

A l’occasion de cette analyse, la Grande Chambre précise que, conformément aux critères développés dans l’arrêt Chiemsee, il n’est pas nécessaire qu’au moment de la procédure, le pays soit réputé pour les produits et/ou services en cause, ni que la fabrication ou production de ces derniers soit effectuée dans ce lieu. Ainsi, la simple démonstration que le nom géographique peut (ou pourrait) être associé aux produits et/ou services visés par la marque est suffisante (paragraphe 140).

En conséquence, la Grand Chambre confirme la décision de la Division d’Annulation, les marques sont annulées pour l’ensemble des produits et services visés.

Elle conclut notamment en reconnaissant que, s’il est possible qu’un nom géographique fasse l’objet d’un enregistrement à titre de marque, « la monopolisation du nom d’un pays ne peut pas mener à une situation inéquitable dans laquelle les opérateurs économiques ayant une connexion véritable et authentique avec une certaine zone géographique seraient contraints de ‘regarder constamment par-dessus leur épaule’ lorsqu’ils font référence à l’origine géographique de leurs produits et services ou, comme en l’espèce, lorsqu’ils utilisent ce nom géographique comme partie de leur marque ».

Publié par

Klara Bost

Juriste en Propriété Intellectuelle

À retenir

La décision n’est pas nouvelle puisqu’elle met en lumière les principes développés dans l’arrêt Chiemsee, mais elle confirme la position stricte adoptée par l’EUIPO en matière de marques composées de noms géographiques. Elle a en outre l’avantage de préciser en détail les conditions dans lesquelles une marque composée d’un nom géographique peut être considérée comme descriptive, ainsi que d’appliquer de manière poussée les critères de l’arrêt Chiemsee.