Entreprise en difficulté : Attention au périmètre de reprise des actifs de propriété intellectuelle

Le terme « procédure collective » désigne les mesures de traitement des difficultés financières rencontrées par une entreprise. La loi prévoit différentes mesures amiables ou judiciaires (conciliation, mandat ad hoc, sauvegarde, redressement ou liquidation) en fonction du degré de gravité des difficultés.

Dans le cadre d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire, il est fréquent que soit décidé un plan de cession, total ou partiel, pour apurer le passif.

Le plan de cession


Les actifs de propriété intellectuelle (marques, dessins & modèles, brevets, droits d’auteur…) font partie du patrimoine de l’entreprise et peuvent être, bien entendu, intégrés dans un plan de cession.

A ce titre et après l’autorisation du juge-commissaire d’inclure les actifs incorporels au plan de cession, il convient de déterminer le périmètre de l’offre de reprise qui fera ensuite l’objet d’actes de cession.

La définition de ce périmètre peut s’avérer déterminante, notamment si le cessionnaire (repreneur) des actifs de propriété intellectuelle souhaite engager une action en contrefaçon grâce à un des actifs repris et se voit opposer, par le défendeur, le fait qu’il n’en est, en réalité, pas le titulaire.

Quelle solution s’agissant de droits d’auteur ?


Aucun dépôt n’est nécessaire pour bénéficier de la protection des droits d’auteur. Par conséquent, il peut être plus difficile d’établir précisément la liste des droits d’auteur concernés par l’offre de reprise, par comparaison avec d’autres actifs que sont les marques ou les brevets, par exemple.

Dans un arrêt récent[1], la Cour d’Appel de Paris a donné une solution intéressante concernant la cession de droits d’auteur dans une offre de reprise.

L’offre de reprise portait sur les marques et les noms de domaine. Le cessionnaire engage une action en contrefaçon contre un tiers sur le fondement de droits d’auteur.

En réponse, le défendeur avance l’argument que les droits d’auteur n’ont pas été cédés au cessionnaire lors de la reprise.

Ce cas de figure a donné lieu, sur demande du liquidateur judiciaire, à une ordonnance d’interprétation du juge-commissaire, précisant que : « il ressortait de la commune intention des parties et de l’offre de reprise […] que les parties entendaient céder l’ensemble des droits de propriété intellectuelle, industrielle et commerciale, en ce compris les droits d’auteur ».

Il ressort de cette décision que le périmètre de la cession peut s’avérer, par l’interprétation du juge, plus large que les seuls éléments figurant au sein de l’offre de reprise, étant précisé que cette position est valable tant que la clôture de la liquidation judiciaire n’a pas été prononcée.

Une solution différente s’agissant de brevets ?


Dans une hypothèse similaire, la Cour de cassation[2] donne une solution divergente. Cette différence de point de vue pourrait s’expliquer, d’une part, par la différence de nature de l’actif concerné et d’autre part, par le stade de la procédure (i.e. après la clôture de la procédure collective).

En effet, un brevet est un titre de propriété industrielle nécessitant un dépôt auprès d’un Office pour pouvoir bénéficier d’une protection. Par conséquent, il peut s’avérer plus simple d’en faire la liste de manière exhaustive dans une offre de reprise.

Dans cette affaire, dans le cadre de la liquidation judiciaire d’une société, une offre de reprise est établie et acceptée par le juge commissaire. Celui-ci autorise, par une ordonnance, la cession des actifs incorporels. Un acte de cession de ces actifs est signé.

Postérieurement à la clôture de la procédure, un avenant confirmatif de cession d’un brevet (qui n’était pas dans les actifs listés par l’ordonnance) est signé entre le mandataire ad hoc et l’acquéreur. Cet acquéreur assigne ensuite un tiers en contrefaçon sur la base de ce brevet.

En réponse, le défendeur avance l’argument que le cessionnaire (repreneur) des actifs n’est pas titulaire du brevet objet du litige puisque ledit brevet ne figurait pas précisément dans l’offre de reprise, ni dans le contrat de cession des brevets.

Dans une telle hypothèse, les juges remarquent que « … le brevet litigieux n’était pas entré dans le périmètre de la cession autorisée par le juge-commissaire ».  Selon les juges, l‘acte confirmatif est pris en violation des exigences du Code de commerce et donc sans effet sur la propriété du brevet.

Le demandeur (repreneur) est donc déclaré irrecevable à agir en contrefaçon.

Par conséquent, si un brevet est omis dans l’offre de reprise adressée au liquidateur et/ou dans l’acte de cession correspondant, les juges considèrent que la procédure collective est restée sans effet sur la propriété du brevet.

Quelles sont nos recommandations ?


Eu égard à la valeur que peuvent revêtir les actifs de propriété intellectuelle pour une entreprise et des risques que fait peser un défaut de titularité de ces actifs, une attention toute particulière doit donc être accordée à l’identification des droits, le plut tôt possible, lors de l’ouverture d’une procédure collective, qu’il s’agisse d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire.

De ce fait, il est nécessaire de veiller attentivement au contenu des documents au cours de la procédure et jusqu’à sa clôture (offre de reprise, ordonnance du juge-commissaire, acte de cession…) et de faire appel, le cas échéant à des conseils spécialisés dans ce domaine.

Regimbeau dispose d’un Service Contrats, Valorisation & Data compétent et expérimenté et se tient à votre entière disposition pour vous accompagner dans cette démarche.


[1] Arrêt de la Cour d’Appel de Paris Pôle 5, Chambre 8, du 14 mars 2023 n°22/05157

[2] Arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 14 juin 2017 n°16-10.827

Publié par

Franck Delamer

Conseil Senior
Délégué à la Protection des Données

Marion Jouy

Juriste Contrats et Propriété Intellectuelle