Données post-dépôt et activité inventive : saisine confirmée de la Grande Chambre de Recours de l’OEB (affaire G2/21)

Dans la course à l’innovation, être le premier à déposer peut s’avérer crucial, à tel point qu’il est tentant de déposer une demande de brevet à un stade très précoce du développement d’une invention, en comptant sur la possibilité de fournir des données supplémentaires au cours de la procédure, notamment à l’Office Européen des Brevets (OEB). Mais cette possibilité existe-t-elle vraiment ?

Paris, le 02 novembre 2021 – Dans la course à l’innovation, être le premier à déposer peut s’avérer crucial, à tel point qu’il est tentant de déposer une demande de brevet à un stade très précoce de développement d’une invention, en comptant sur la possibilité de fournir des données supplémentaires au cours de la procédure, notamment à l’Office Européen des Brevets (OEB). Mais cette possibilité existe-t-elle vraiment ?

Nous avons annoncé précédemment la possibilité d’une saisine de la Grande Chambre de Recours de l’OEB concernant les cas dans lesquels des données postérieures au dépôt peuvent être prises en compte dans le cadre de l’analyse de l’activité inventive. Cette saisine est désormais officielle, et porte le numéro G2/21 « plausibility ».

L’effet technique des caractéristiques qui distinguent l’invention revendiquée de l’art antérieur est en effet capital dans l’approche problème-solution développée par l’OEB pour apprécier l’activité inventive d’une invention. Si un effet technique démontré dans la demande est toujours pris en compte par l’OEB, les données postérieures au dépôt soumises dans le but de démontrer l’existence d’un effet technique simplement allégué dans la demande peuvent être acceptées, mais ce n’est pas systématique.

Considérant que la jurisprudence des chambres de recours n’est pas uniforme sur ce point et que cette question est fondamentale dans l’affaire T 116/18 dont elle est en charge, la Chambre de recours technique 3.3.02 a décidé de saisir la Grande Chambre de Recours pour obtenir des directives générales quant aux cas dans lesquels des données postérieures au dépôt peuvent être prises en compte dans le cadre de l’analyse de l’activité inventive. 

La saisine est opérée par une décision motivée, dans laquelle la Chambre de recours explique que sa conclusion concernant l’activité inventive dépend entièrement de sa décision de prendre ou non en compte des données postérieures au dépôt et met en évidence l’existence de 3 courants distincts de jurisprudence des chambres de recours à ce sujet :

  • Plausibilité ab initio : selon cette approche, les données postérieures au dépôt ne peuvent être prises en compte que si, compte tenu de la demande telle que déposée et des connaissances générales de l’homme du métier à la date de dépôt, l’homme du métier aurait eu des raisons de supposer que l’effet technique allégué est effectivement obtenu,
  • Défaut de plausibilité ab initio : selon cette approche, les données postérieures au dépôt doivent être prises en compte, sauf si l’homme du métier avait des raisons légitimes de douter que l’effet technique allégué aurait été obtenu à la date de dépôt du brevet en cause, et
  • Non prise en compte de la plausibilité : la troisième approche semble rejeter purement et simplement tout raisonnement de plausibilité, considérant que celui-ci est incompatible avec l’appréciation de l’activité inventive selon l’approche problème solution, qui implique une comparaison avec l’art antérieur le plus proche, qui n’était pas forcément connu du déposant lors du dépôt.

Afin d’homogénéiser la pratique de l’OEB concernant la prise en compte des données postérieures au dépôt dans le cadre de l’analyse de l’activité inventive, la chambre pose les questions suivantes à la Grande Chambre de Recours :

If for acknowledgement of inventive step the patent proprietor relies on a technical effect and has submitted evidence, such as experimental data, to prove such an effect, this evidence not having been public before the filing date of the patent in suit and having been filed after that date (post-published evidence):

1. Should an exception to the principle of free evaluation of evidence (see e.g. G 3/97, Reasons 5, and G 1/12, Reasons 31) be accepted in that post-published evidence must be disregarded on the ground that the proof of the effect rests exclusively on the post-published evidence?

2. If the answer is yes (the post-published evidence must be disregarded if the proof of the effect rests exclusively on this evidence), can the post-published evidence be taken into consideration if, based on the information in the patent application in suit or the common general knowledge, the skilled person at the filing date of the patent application in suit would have considered the effect plausible (ab initio plausibility)?

3. If the answer to the first question is yes (the post-published evidence must be disregarded if the proof of the effect rests exclusively on this evidence), can the post-published evidence be taken into consideration if, based on the information in the patent application in suit or the common general knowledge, the skilled person at the filing date of the patent application in suit would have seen no reason to consider the effect implausible (ab initio implausibility)?

Ces questions sont fondées sur les trois courants de jurisprudence identifiés par la Chambre de recours, la première question visant à déterminer le bien-fondé de l’approche rejetant tout raisonnement de plausibilité, et les deuxième et troisième questions à déterminer, si un raisonnement de plausibilité est à appliquer dans l’analyse de l’activité inventive, laquelle des approches de plausibilité ab initio et de défaut de plausibilité ab initio est à suivre.

Enfin, bien que les questions posées soient limitées à la prise en compte de données postérieures au dépôt dans le contexte de l’analyse de l’activité inventive, nous notons que dans son analyse de la jurisprudence, la Chambre de recours à l’origine de la saisine considère que la question se pose de la même façon dans le cadre de l’analyse du critère de suffisance de description, lorsque l’effet démontré dans les données postérieures au dépôt est une caractéristique de la revendication attaquée (voir point 13.3 des motifs). Elle cite d’ailleurs, dans sa revue des différents courants de jurisprudence, des décisions dans lesquelles cette question a été traitée lors de l’appréciation de la suffisance de description. Il sera intéressant de voir si la Grande chambre de recours confirme si l’approche qu’elle définira s’applique aussi dans le cadre de l’analyse de la suffisance de description.

Sans attendre une décision de la Grande Chambre de Recours, qui doit déjà confirmer la recevabilité de la saisine et dont la décision n’interviendra sans doute pas avant au moins un an, il convient de tenir compte de ces considérations dans les rédactions de vos demandes. Les équipes de Regimbeau se tiennent à votre disposition pour vous conseiller au cas par cas à ce sujet.

Publié par

Cécile Puech, Ph.D

Conseil Senior