Brevetabilité des plantes – Bis repetita !

Second renvoi à la Grande Chambre et suspension d’office des procédures en cours.

Depuis la directive 98/44/CE (juillet 1998) et la décision G1/98 (décembre 1999) l’éligibilité des végétaux à la protection par brevet en Europe ne soulevait pas de difficulté particulière et seule la brevetabilité des procédés essentiellement biologiques a pu engendrer d’âpres discussions pour aboutir à une interprétation par la Grande Chambre de Recours de l’Office Européen des Brevets (OEB) via les décisions G1/08 et G2/07 (décembre 2010).

Ces décisions qui ont exclu les procédés faisant appel au croisement sexuel des génomes entiers de plantes suivi de sélection, ont cependant récemment donné l’occasion d’une réouverture du débat sur la brevetabilité des plantes en tant que telles, lorsqu’obtenues par de tels procédés.

La Grande Chambre de Recours a été à nouveau saisie par les mêmes parties ; ce qui n’a pas manqué de déclencher une nouvelle vague d’amicus curiae enflammés et d’initiatives parlementaires variées et aussi d’inciter le président de l’OEB à ordonner la suspension de toutes les procédures impactées par l’issue de la décision à venir.

Brevetabilité – Les variétés végétales ne sont pas brevetables mais les plantes le sont

En vertu de la Convention sur le Brevet Européen (CBE), la protection par brevet est possible pour les inventions dans tous les domaines de la technologie, y compris l’agriculture.

L’article 53 (b) de la CBE exclut de la brevetabilité les « variétés végétales et animales et les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux ».

La raison d’une telle exclusion voulue par le législateur est d’éviter la double protection des variétés végétales par brevet et par le système sui generis du Certificat d’Obtention Végétale (COV).

Dans la décision G1/98, la Grande Chambre de Recours de l’OEB avait eu à répondre à la question de savoir si une revendication visant une plante est acceptable à partir du moment où elle englobe des variétés végétales.

La Grande Chambre de Recours avait estimé qu’une telle revendication ne tombe pas sous l’exclusion de l’article 53 (b) CBE et ce même si des variétés végétales sont contenues dans l’étendue de la protection conférée par la revendication à la condition que l’enseignement technique de l’invention puisse être mis en œuvre dans un nombre indéfini de variétés de plantes.

Cette notion apparaît d’ailleurs dans l’article 4.2. de la Directive 98/44/CE du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, dans la règle 27 (b) de la CBE et dans l’article L611-19, II) du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) qui prévoient que «Les inventions portant sur des végétaux ou des animaux sont brevetables si la faisabilité technique de l’invention n’est pas limitée à une variété végétale ou à une race animale déterminée ».

La Grande Chambre de Recours donne son interprétation de « procédé essentiellement bioloqique »

En ce qui concerne l’exclusion des procédés essentiellement biologiques d’obtention de plantes, l’expression « essentiellement biologique » de l’article 53 (b) de la CBE a été l’objet d’interprétation. En effet, tant l’article 2.2 de la Directive 98/44/CE, comme la règle 26(5) CBE et l’article L611-19, 3°) CPI définissent – et donc interprètent – un procédé essentiellement biologique comme étant un « procédé consistant intégralement en (ou faisant exclusivement appel à) des phénomènes naturels ».

Les questions relatives à l’interprétation de cette notion de procédé essentiellement biologique ont été traitées dans les décisions G1/08 et G2/07 connues sous les noms de « cas tomate » et « cas brocoli ». La Grande Chambre de Recours de l’OEB a ainsi décidé d’ignorer la règle 26(5) CBE et a choisi de faire sa propre interprétation.

Elle a conclu comme suit: « tout procédé de production de plantes qui contient ou consiste en des étapes de croisement sexuel des génomes entiers de plantes, suivi de la sélection des plantes est en principe exclu de la brevetabilité au motif qu’il est « essentiellement biologique » ».

La Grande Chambre a par ailleurs décidé que de tels procédés ne peuvent échapper à l’exclusion quand bien même ils comprennent une étape technique qui ne fait qu’assister ou rendre possible le croisement sexuel ou la sélection ; c’est le cas par exemple de procédés mettant en œuvre des marqueurs moléculaires.

Relance des débats sur l’acceptabilité des revendications de plantes obtenues par procédé essentiellement biologiques

Après cette décision, les deux cas ont été renvoyés devant les Chambres de Recours respectives afin de poursuivre la procédure sur la base des revendications de plantes puisque la faisabilité technique des plantes revendiquées n’était pas limitée à une variété végétale déterminée. On s’attendait dès lors à la délivrance des brevets se limitant à des revendications de produits visant les plantes per se.

Or, l’opposant dans le «cas tomate » a soulevé la question de l’acceptabilité de revendications visant des produits – des plantes – qui sont obtenus par des procédés qui venaient d’être déclarés exclus de la brevetabilité. Selon l’opposant, l’acceptation de telles revendications de produit reviendrait à contourner l’exclusion et viderait ainsi la décision de toute sa substance.

La Chambre de Recours a décidé de déférer à nouveau ce cas à la Grande Chambre de Recours.

Dans ce deuxième renvoi, G2/12, la question posée consiste à savoir si l’exclusion des procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux en vertu de l’article 53(b) CBE peut avoir un effet négatif sur l’acceptabilité d’une revendication de produit visant les plantes qui sont obtenues par de tels procédés. La Chambre de Recours en charge du « cas brocoli » a formulé et déféré des questions semblables auprès de la Grande Chambre de Recours sous le numéro G2/13.

Les opposants à la brevetabilité argumentent que les revendications sur les plantes, qui sont le résultat de processus essentiellement biologiques, rendent la provision relative à l’exclusion desdits procédés totalement inefficace car une revendication de produit permet au breveté d’interdire à tout tiers de mettre en œuvre le procédé (essentiellement biologique) d’obtention du produit à partir du moment où ledit produit revendiqué ne peut être obtenu que via un tel procédé.

A contrario, selon les brevetés et défenseurs de la brevetabilité des plantes ainsi que le président de l’OEB, la CBE établit une distinction claire entre les exigences de brevetabilité d’une part et l’étendue de la protection conférée par un brevet de l’autre.

En outre, selon les mêmes personnes, la CBE reconnaît d’autres situations où des méthodes sont exclues de la brevetabilité, alors que les revendications portant sur les produits utilisés dans ces méthodes sont acceptables. Ainsi, un médicament breveté fournit une protection indirecte sur les méthodes non brevetables pour le traitement du corps humain ou animal dans lesquelles le médicament est utilisé.

Un débat ardent, une jurisprudence embryonnaire et des initiatives législatives isolées

Une réponse par la Grande Chambre de Recours n’est pas attendue avant un certain temps et il est important de noter que ces questions ont déjà enflammé l’opinion publique ainsi que les législateurs à divers niveaux nationaux et communautaires à travers l’Europe.

En effet, le parlement européen a adopté une résolution invitant l’OEB à exclure de la brevetabilité les plantes obtenues par des procédés essentiellement biologiques (Résolution du Parlement européen du 10 mai 2012 sur le brevetage [sic] des procédés essentiellement biologiques). De même, le parlement Allemand a tout récemment modifié la législation nationale en introduisant une modification dans le droit national venant préciser que les plantes issues de procédés essentiellement biologiques sont exclues de la brevetabilité.

Par ailleurs dans l’affaire Cresco c/ Taste of Nature, une juridiction néerlandaise a été confrontée à ces mêmes questions. Dans ce cas, la question reposait sur la validité des revendications de produits visant des plantes de radis avec des niveaux d’anthocyanine particulièrement élevés et qui étaient obtenues par croisement et sélection classique, c’est à dire par un procédé essentiellement biologique (EP1290938).

Dans la procédure en référé, en première instance, le 31 janvier 2012, le juge du Tribunal de District de La Haye a considéré que les revendications de plantes ne sont pas admissibles à partir du moment où ces plantes sont obtenues par un procédé essentiellement biologique qui est exclu de la brevetabilité.

A contrario, dans la procédure au fond, en mai 2013, le même tribunal a jugé que les plantes de radis revendiquées sont brevetables en vertu de l’article 53 (b) CBE. Selon le tribunal, compte tenu de la distinction faite par la CBE entre les procédés et les produits, l’utilisation du mot «procédé» dans l’article 53 (b) de la CBE indique que le législateur a délibérément choisi de ne pas faire entrer les produits dans le champ d’application de cette partie de l’article.

Dans la procédure d’appel sur référé, la Cour d’appel de La Haye a également estimé en mai 2013 que l’exclusion visant les procédés ne devrait pas s’appliquer au produit puisque seul l’objet tel que défini par les revendications doit se conformer aux conditions de brevetabilité.

Ainsi, selon les juridictions néerlandaises, l’article 53(b) CBE exclut de la brevetabilité les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux, mais pas les produits –pris en tant que tels- qui en sont issus.

Sort des demandes de brevet et brevets dans l’attente de la décision de la Grande Chambre

Par un communiqué du mois d’octobre 2013 (JO OEB 10/2013, page 449), le Président de l’OEB a décidé que toutes les procédures quant au fond devant les organes de première instance de l’OEB (divisions d’examen et d’opposition) relatives à des demandes de brevet ou brevets comportant des revendications visant des plantes obtenues par un procédé essentiellement biologique et dont l’issue dépend entièrement de la décision de la Grande Chambre de recours étaient suspendues d’office jusqu’à ce que la Grande Chambre de recours ait statué; néanmoins la procédure de recherche n’est pas affectée.

Il est cependant toujours possible d’une part de déposer des demandes de brevet visant des plantes obtenues par des procédés essentiellement biologiques et d’autre part de former opposition à l’encontre de brevets visant de telles plantes. Ces demandes ou opposition ne seront toutefois pas examinées avant qu’une décision soit rendue par la Grande Chambre de recours.

Comme on peut se douter, la décision de la Grande Chambre de Recours est sous les feux de l’actualité et d’ores et déjà très attendue par tous les acteurs du système, partisans ou opposants aux brevets sur les plantes. En tout état de cause, et ce quelle que soit la teneur de cette décision, elle aura un impact majeur sur les pratiques et les stratégies de dépôt de demandes de brevets dans le domaine des plantes en Europe et certainement bien au-delà.