La photographie d’une œuvre architecturale prise dans un espace public peut-elle être utilisée sans autorisation de son auteur et, si oui, selon quelles conditions ?

"Qu’apporte l’exception de panorama introduite par la loi pour une République numérique ? (dite loi Lemaire)"

L’article 39 de la loi « pour une République numérique » (dite loi Lemaire), du 7 octobre 2016, introduit le principe de « l’exception de panorama » en (re)dessinant les contours « du droit d’utilisation et de reproduction » d’œuvres architecturales et en consacrant le principe de la libre exploitation des images d’œuvres protégées par le droit d’auteur réalisées dans le domaine public.

Fortement décriée notamment par l’ADAGP (alors que ce principe existait chez nos voisins européens depuis de nombreuses années), cette exception vient réduire le droit exclusif des auteurs à autoriser, ou non, la reproduction de leurs œuvres.

Cette exception se trouve à présent codifiée à l’article L.122-5 (11°) du Code de la Propriété Intellectuelle : « lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial ».

L’état du droit avant l’entrée en vigueur de la loi

Avant l’entrée en vigueur de la loi, toute personne qui représentait, fixait et/ou diffusait l’image d’une œuvre architecturale sans l’autorisation du titulaire des droits d’auteur (auteur, ayant-droit, ayant-cause) était susceptible d’être poursuivi pour contrefaçon.

Devant la rigidité du principe (qui imposait à toute personne souhaitant reproduire une vue panoramique, par exemple, de se rapprocher de l’auteur de l’œuvre architecturale, que cette dernière soit centrale ou non) et le nombre croissant de contentieux sur ce sujet, les tribunaux ont ainsi été amenés à définir certaines exceptions.

Ainsi, la jurisprudence s’est appuyée, avant l’entrée en vigueur de la loi, sur la « théorie de l’accessoire », consacrée notamment par l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 15 mars 2005 (Arrêt « Place des Terreaux »).

En l’espèce, la Cour a refusé de faire droit aux auteurs qui s’opposaient à la diffusion d’une carte postale représentant la Place des Terreaux à Lyon sur laquelle leurs œuvres étaient également exposées au motif que « l’œuvre se fondait dans l’ensemble architectural de la Place des Terreaux dont elle constituait un simple élément ».

Cette exception jurisprudentielle posait donc le principe selon lequel une œuvre architecturale située dans un espace public pouvait être reproduite, à titre commercial ou non, sans autorisation du titulaire des droits, à condition qu’elle ne constitue pas le sujet principal de la reproduction (hypothèse d’un immeuble en arrière-plan).

La loi Lemaire, en tenant compte de ces évolutions jurisprudentielles mais sans les reprendre intégralement (re)définie ainsi les contours d’une nouvelle exception dite de « panorama » (qui exclut à présent l’application de la « théorie de l’accessoire », laquelle entrerait en conflit avec l’exception de panorama).

Les points de droits adressés par la loi

La loi introduit cette « exception de panorama » aux fins de répondre aux interrogations suivantes :

  • La photographie d’une œuvre architecturale (couverte par les droits d’auteur dans son objet et dans le temps) prise dans un espace public (de manière permanente) peut-elle être utilisée (et reproduite) sans autorisation (ni rémunération) de son auteur (et/ou ses ayants-droits/causes) et, si oui, selon quelles conditions ?

Les réponses apportées par la loi

La loi mentionne que l’auteur (et/ou ses ayants-droits/causes) d’œuvres architecturales ne peut interdire la reproduction et/ou la représentation de photographies (réalisées dans un domaine public) si ces dernières sont réalisées :

  • Par des personnes physiques et
  • A l’exclusion de tout usage à caractère commercial.

Dans les faits, une personne physique est donc autorisée, sans avoir à interroger l’auteur, à prendre une photographie d’un monument (qu’il soit en premier ou arrière-plan) et la diffuser, sur tous supports (Online compris), pour autant que le but poursuivi ne soit pas commercial.

A toutes fins utiles, il convient de noter que, notamment, le droit à la paternité (attribut d’ordre moral, soit inaliénable, imprescriptible et perpétuel) nécessite que le nom/pseudonyme de l’auteur soit mentionné sur toutes reproductions et/ou représentations.

A contrario, sont interdites, sans l’autorisation de l’auteur (et/ou ses ayants-droits/causes) toute :

  • Reproduction et/ou représentation de l’image d’un bien par une personne morale (Société, Association (…)) ;
  • L’utilisation et/ou la reproduction d’une photographie sur des portails commerciaux et/ou hébergeant de la publicité et/ou faisant la promotion de produits/services.

A titre d’illustrations un éditeur de jeux vidéo à réalité augmentée ne devrait pas pouvoir invoquer cette exception de panorama pour capter l’image de l’immeuble et devraient ainsi obtenir le consentement de l’architecte pour intégrer l’œuvre aux jeux.

Conclusion

Bien que la solution adoptée puisse apparaitre comme restreignant, encore, les droits des auteurs (ayants-droits/ayants-causes), il convient de noter qu’elle se trouve être plus en phase avec les « pratiques » et les « supports » (notamment numériques) utilisés par le plus grand nombre à date …

Il convient toutefois de rester vigilant quant au strict respect des critères énoncés par la loi aux fins d’éviter la généralisation d’acte de contrefaçon, de concurrence déloyale et/ou d’agissements parasitaires.

Publié par

Katia Pouilly

Responsable du Service Contrats
Valorisation & Data