La coexistence d’un brevet français et d’un brevet européen portant sur une même invention enfin possible ! …modulo certaines conditions.

L’ordonnance n°2018-341 relative au brevet européen à effet unitaire et à la Juridiction unifiée du brevet a fait grand bruit à sa publication, en clarifiant notamment l’imprescriptibilité des actions en nullité de brevet (article 13) et la prescription des actions en contrefaçon (article 12). Cette ordonnance comprenait cependant une autre disposition intéressante qui a pour vocation de changer une particularité du droit français en matière de cumul des protections. En voici notre explication.

Paris, le 26 avril 2022 – L’ordonnance n°2018-341 relative au brevet européen à effet unitaire et à la Juridiction unifiée du brevet a fait grand bruit à sa publication, en clarifiant notamment l’imprescriptibilité des actions en nullité de brevet (article 13) et la prescription des actions en contrefaçon (article 12). Cette ordonnance comprenait cependant une autre disposition intéressante qui a pour vocation de changer une particularité du droit français en matière de cumul des protections.

La situation actuelle

L’article L. 614-13 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) dispose que :

« Dans la mesure où un brevet français couvre une invention pour laquelle un brevet européen a été délivré au même inventeur ou à son ayant cause avec la même date de dépôt ou de priorité, le brevet français cesse de produire ses effets soit à la date à laquelle le délai prévu pour la formation de l’opposition au brevet européen est expiré sans qu’une opposition ait été formée, soit à la date à laquelle la procédure d’opposition est close, le brevet européen ayant été maintenu ».  

La conséquence est donc qu’un même titulaire ne peut posséder à la fois un brevet français et un brevet européen produisant des effets en France portant sur une même invention et partageant une même date de dépôt (ou le cas échéant de priorité), car le brevet français cesse de produire ses effets pour les parties communes dès lors que le brevet européen est « définitivement délivré », c’est-à-dire à la fin de la période d’opposition ou, le cas échéant, lors de la clôture de la procédure d’opposition.

Cette situation s’applique donc à tous les brevets français ayant fait l’objet d’une extension ayant abouti à la délivrance d’un brevet européen. Actuellement, seul le retrait de la désignation de la France dans le brevet européen permet au brevet français de conserver ses effets : toutefois, le titulaire ne dispose toujours que d’un seul titre couvrant le territoire français (ici, son brevet français).

Ce qui va changer :

L’article 4 de l’ordonnance modifie l’article L. 614-13 du Code de la Propriété Intellectuelle par l’article comme suit :

« I. Dans la mesure où un brevet français couvre une invention pour laquelle un brevet européen a été délivré au même inventeur ou à son ayant cause avec la même date de dépôt ou de priorité, et où le brevet européen a fait l’objet d’une dérogation à compétence exclusive de la juridiction unifiée du brevet, en application du paragraphe 3 de l’article 83 de l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet, le brevet français cesse de produire ses effets 

1° Soit à la date à laquelle le délai prévu pour la formation de l’opposition au brevet européen est expiré sans qu’une opposition ait été formée 

2° Soit à la date à laquelle la procédure d’opposition est close, le brevet européen ayant été maintenu ;

3° Soit à la date à laquelle la dérogation est inscrite au registre en en application du paragraphe 3 de l’article 83 de l’accord précité lorsque cette date est supérieure à celles mentionnées aux 1° et 2°. […] II. Lorsque le brevet européen n’a pas fait l’objet d’une dérogation à la compétence exclusive de la juridiction unifiée du brevet, en application du paragraphe 3 de l’article 83 de l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet, le brevet français continue à produire ses effets. »

L’article 4 de l’ordonnance modifie cet article L. 614-13 CPI afin de permettre un cumul de la protection obtenue par le brevet français et le brevet européen ou le brevet européen à effet unitaire sur le territoire français, dès lors qu’ils sont soumis à des compétences juridictionnelles distinctes.

En effet, le règlement des litiges liés à un brevet français est et restera soumis à la compétence juridictionnelle exclusive du tribunal judiciaire de Paris (L. 615-17 CPI).

Le règlement des litiges liés à un brevet européen est actuellement traité pays par pays, par les juridictions nationales compétentes, soit le tribunal judiciaire de Paris s’agissant de la partie française du brevet européen. Toutefois, à compter de l’entrée en vigueur de l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet, l’article 1 de l’accord dispose que le règlement des litiges liés à un brevet européen ou un brevet européen à effet unitaire sera soumis à la compétence exclusive de la juridiction unifiée du brevet (JUB). 

On notera cependant que, pendant une période transitoire de sept ans (renouvelable), le titulaire (ou le demandeur) d’un brevet européen pourra décider de déroger à cette compétence exclusive en notifiant sa décision au greffe (« opt-out »), auquel cas le brevet européen restera soumis au régime de compétence juridictionnel national, le tribunal judiciaire de Paris s’agissant de la partie française de ce brevet européen, − et le brevet français cessera de produire ses effets.

Aucune dérogation à la compétence exclusive de la JUB n’est possible pour les brevets européens à effet unitaire, un titulaire ayant choisi de bénéficier de l’effet unitaire aura donc toujours la possibilité de bénéficier de son brevet français et de son brevet européen à effet unitaire sur le territoire français (en payant les annuités correspondantes).

De plus, à la fin de la période transitoire (ou de son renouvellement), il ne sera plus possible de bénéficier de la procédure d’opt-out. Par conséquent, tous les brevets européens seront soumis à la compétence exclusive de la JUB. Ainsi, à terme, le brevet français pourra continuer à produire ses effets quelle que soit la stratégie choisie par son titulaire pour la validation de son brevet européen (validations nationales ou effet unitaire).

Ainsi, dès lors que le brevet européen n’a pas fait l’objet d’une dérogation (opt-out), ou si le titulaire a demandé un effet unitaire, le brevet français pourra continuer à produire ses effets malgré la délivrance du brevet européen.

Intérêts et conséquences :

Le brevet français et le brevet européen, le cas échéant à effet unitaire, étant soumis à des juridictions différentes, un contrefacteur présumé devra nécessairement se pourvoir devant chacune des deux juridictions compétentes afin de tenter d’en obtenir l’annulation. Cela dédouble donc, pour le contrefacteur présumé, les coûts et les procédures, et ce d’autant plus si la portée des deux brevets n’est pas exactement la même.

Pour maintenir en vigueur les deux titres, il sera cependant nécessaire que le titulaire acquitte des taxes de maintien en vigueur du brevet français et du brevet européen à effet unitaire ou de la partie française du brevet européen, ce qui augmente bien entendu les coûts.

Une décision devra donc être prise au cas par cas. L’équipe de Regimbeau se tient bien entendu à votre disposition pour en discuter et vous assister dans cette prise de décision.

Qu’en est-il des autres pays ?

Le cumul de la protection obtenue par un brevet national et un brevet européen est déjà possible dans certains pays membres de l’Union Européenne, tels que l’Autriche, la Finlande, le Portugal ou encore la Suède. Il en sera donc naturellement de même pour le brevet européen à effet unitaire.

En revanche, d’autres pays membres de l’Union Européenne, comme l’Allemagne par exemple, vont ouvrir la possibilité du cumul des protections dans des circonstances similaires à la France. 

Les équipes de Regimbeau se tiennent à disposition pour définir la stratégie adaptée pour votre portefeuille de brevets européens.

Publié par

Anne Seibel

Associée

Anne Boutaric

Associée