Comment breveter les inventions d’Intelligence Artificielle ? Les points à retenir de la décision T 0702/20

L'intelligence artificielle est mise en œuvre dans des inventions couvrant de nombreux domaines. Cependant, la protection de ces inventions suppose une attention particulière en ce qui concerne la description de leur contribution technique.

Une illustration en est donnée dans la décision T 0702/20 de la Chambre de recours technique 3.5.06. de l’Office Européen des Brevets qui a refusé d’octroyer un brevet portant sur un réseau de neurones à faible densité de connexion.

En résumé

Selon la Chambre, un réseau de neurones définit une classe de fonctions mathématiques qui, en tant que telle, est exclue de la brevetabilité. Un tel réseau ne peut donc être breveté sans indiquer au moins implicitement un cas d’utilisation spécifique.

L’invention litigieuse

Cette invention concerne une adaptation des connexions entre les couches d’un réseau de neurones, avec un concept dit à « couplages lâches » qui réduit le nombre de connexions entre les neurones de plusieurs couches du réseau par rapport aux architectures conventionnelles totalement connectées.

Ces couplages lâches sont illustrés par les lignes en pointillés de la figure 2 de la demande de brevet reproduite ci-dessous.

La revendication 1 porte sur l’architecture ab initio du réseau de neurones, avant même son apprentissage pour la réalisation d’une tâche de classification. Notamment, les connexions lâches entre les neurones sont établies avant l’apprentissage, indépendamment des données d’apprentissage.

Cette revendication 1 ne mentionne par ailleurs aucune spécificité des données servant à l’apprentissage ni ne précise à quelle fin la classification pourrait être utilisée.

Cette invention vise-t-elle une finalité technique spécifique ?

  • La Chambre rappelle tout d’abord qu’un réseau de neurones est composé de nœuds, dits neurones, connectés entre eux pour transmettre la sortie d’un neurone à l’entrée d’un autre.
    Chaque neurone effectue une opération mathématique, par exemple une somme pondérée de ces entrées suivie d’une activation non linéaire telle que la fonction Unité Linéaire Rectifié ou la fonction sigmoïde.

L’architecture d’un réseau de neurones fixe donc les opérations réalisées par les neurones et la manière dont ils sont connectés entre eux. Cette architecture définit ainsi une classe de fonctions mathématiques. Une instance de cette classe est donnée par le jeu de poids qui résulte de l’apprentissage du réseau de neurones pour que celui-ci réalise une tâche donnée (par exemple la détection d’objets dans des images).

  • La Chambre considère que la revendication 1, dont on rappelle qu’elle porte sur l’architecture ab initio du réseau de neurones avant même son apprentissage, ne définit qu’un outil mathématique.

Elle rapporte ainsi que cette revendication ne fait que spécifier des opérations mathématiques abstraites implémentées par ordinateur sur des données non spécifiées, ces opérations mathématiques étant celles de définir une classe de fonctions d’approximation (le réseau avec sa structure), de résoudre un système (complexe) d’équations (non linéaires) pour obtenir les paramètres des fonctions (l’apprentissage des poids), et de l’utiliser pour calculer des sorties dont on ne sait à quelle tâche elles sont destinées.

La Chambre conclut que l’invention revendiquée n’est pas exclue de la brevetabilité du fait qu’elle utilise un ordinateur, mais qu’en revanche elle n’implique pas d’activité inventive.

Que retenir ?

  • La Chambre souligne qu’il n’y a aucun doute sur le fait que les réseaux de neurones peuvent fournir des outils techniques utiles pour automatiser des tâches humaines ou résoudre des problèmes techniques. Mais pour être brevetés, il est nécessaire que ces réseaux soient suffisamment spécifiés, notamment en ce qui concerne les données d’apprentissage et/ou la tâche technique à accomplir.
  • Or en l’espèce, si les connexions lâches sont définies au moyen d’une matrice de contrôle d’un code correcteur d’erreurs, le demandeur n’a pas été en mesure de démontrer qu’un bénéfice technique découlerait de l’utilisation d’une telle matrice de contrôle.
  • Enfin, la Chambre rappelle qu’il est nécessaire aux demandeurs de justifier leurs affirmations, notamment lorsqu’elles ont trait à des allégations d’effet technique.

En l’occurrence, le demandeur avait tenté de justifier que le réseau revendiqué permettait d’éviter le sur-apprentissage (overfitting) en citant un article scientifique relatif à un couplage lâche piloté par les données (le schéma de connectivité y est déterminé à partir de la tâche à accomplir, sur la base de la distribution des données d’apprentissage). Cet article ne lui a été d’aucun secours, la Chambre notant que cet article n’avait pas trait au couplage lâche revendiqué où le schéma de connectivité est déterminé indépendamment des données d’apprentissage.

Peut-être en aurait-il été autrement si la demande de brevet avait contenu des exemples comparatifs du réseau revendiqué avec des réseaux préexistants, par exemple en termes de rapidité d’apprentissage ou de précision de la classification obtenue ?

C’est pourquoi nous préconisons que de tels exemples comparatifs soient autant que de possible présents dans les demandes de brevet portant sur l’Intelligence Artificielle. Et ce, d’autant plus que la prise en compte les éléments de preuve publiés après dépôt pour l’examen de l’activité inventive fait actuellement débat devant la Grande chambre de recours avec la saisine G 2/21.

Publié par

Thomas Moisand

Conseil Senior