Qui régule l’accès des ressources génétiques marines ?

Les océans contiennent de nombreuses formes de vie (algues, plancton, mammifères, poissons, mollusques, ...), que ce soit dans leurs eaux ou dans leurs sous-sols. A l’échelle microscopique, des millions d’espèces eucaryotes, procaryotes, ainsi que des virus, y prolifèrent rapidement. Imaginez : chaque millilitre d’eau de mer contient environ 1 million de bactéries et 10 millions de virus !

Paris, le 8 septembre 2021 – Les océans contiennent de nombreuses formes de vie (algues, plancton, mammifères, poissons, mollusques, …), que ce soit dans leurs eaux ou dans leurs sous-sols. A l’échelle microscopique, des millions d’espèces eucaryotes, procaryotes, ainsi que des virus, y prolifèrent rapidement. Imaginez : chaque millilitre d’eau de mer contient environ 1 million de bactéries et 10 millions de virus1 ! Par ailleurs, les organismes vivant dans les abysses océaniques et les systèmes hydrothermaux attirent de plus en plus les chercheurs, intrigués par leur capacité à s’adapter à des conditions extrêmes de pression, de température, d’acidité et d’absence de lumière.

L’accès à ces ressources est-il réglementé ? Est-il possible de les prélever librement ou faut-il demander une autorisation et négocier l’accès pour pouvoir y accéder, à l’instar de certaines ressources terrestres ? Le présent article explicite les principes juridiques fondamentaux régulant l’accès aux ressources génétiques marines, en fonction de leur zone de prélèvement.

Le cadre légal régulant l’accès aux ressources génétiques marines est complexe. Plusieurs textes fondamentaux sont à considérer : d’une part la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) et en particulier le Protocole de Nagoya et, d’autre part, la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM ou UNCLOS en anglais).  

L’accès et le partage des avantages (APA) découlant de l’utilisation des ressources génétiques est l’un des trois objectifs de la CBD. Cet objectif est mis en œuvre par le Protocole de Nagoya, lorsque ces ressources sont prélevées dans les eaux « sous souveraineté ou sous juridiction nationale ». Pour comprendre quelles en sont les limites, il convient en fait de se référer aux définitions prévues dans la CNUDM, qui recense les cinq grandes zones suivantes au large des côtes terrestres : 

(Zone 1) La côte territoriale et la limite des eaux territoriales, allant jusqu’à 12 milles de la côte (environ 22km).

(Zone 2) La Zone Exclusive Economique (ZEE) correspondant à la colonne d’eau par-delà les eaux territoriales, jusqu’à une distance de 200 milles de la côte (environ 370 km, sous réserve de délimitations plus restreintes avec d’autres États).

(Zone 3) Le plateau continental qui correspond au sol sous-marin pouvant aller jusqu’à une distance de 200 milles de la côte, voire au-delà s’il peut être prouvé, données géologiques à l’appui, que le sol sous-marin constitue en fait le prolongement naturel des terres côtières émergées. Cette extension doit être validée par la Commission des Limites du Plateau Continental de l’ONU. Elle ne peut s’étendre au-delà de 350 milles (650 km) et ne concerne pas la colonne d’eau située au-dessus.

(Zone 4) Le plancher océanique qui le poursuit (commençant à 200 ou 350 milles en fonction des pays), fréquemment appelé « la Zone ».

(Zone 5) La colonne d’eau s’étendant au-delà de la ZEE, c’est-à-dire à plus de 200 milles des côtes, qui est appelée la « Haute Mer ». 

Ressources concernées par les lois APA nationales

Les ressources génétiques marines prélevées dans les eaux territoriales (zone 1) ou dans la Zone Economique Exclusive (zone 2) d’un Etat côtier sont sous « souveraineté » ou sous « juridiction » dudit Etat.

La CNUDM place également la gestion des ressources minérales ou biologiques prélevées dans le sol du plateau continental (zone 3) sous la juridiction de l’État côtier.

Les lois nationales relatives à l’accès et au partage des bénéfices tirés de l’utilisation des ressources génétiques marines prélevées sur leur territoire (ci-après « lois APA »), s’appliquent donc à toutes les ressources acquises dans les zones 1, 2 et 3 d’un Etat côtier.

Pour savoir si l’accès à une ressource prélevée dans une de ces zones est règlementé, il convient donc d’identifier si l’Etat côtier le plus proche a mis en place une loi APA contraignante et de contacter l’Autorité Nationale Compétente de cet Etat.

Ressources non concernées par les lois APA nationales

Les lois APA nationales ne s’appliquent cependant pas aux ressources génétiques prélevées dans le plancher océanique (Zone 4) ou en Haute Mer (Zone 5).

Leur accès est-il pour autant réglementé ?

Les ressources minérales présentes dans le plancher océanique (zone 4) sont gérées par l’Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM) qui réglemente l’exploration et l’exploitation des grands fonds marins et délivre les permis nécessaires à l’exploitation du sol. Ces ressources étant définies dans la CNUDM comme un « héritage commun de l’humanité », l’AIFM s’assure qu’un partage des avantages bénéficie à tous les Etats de la planète. On ne sait cependant pas si les ressources génétiques prélevées dans le plancher océanique sont également concernées par ce partage, car la CNUDM ne les cite pas explicitement2.

Les ressources prélevées en Haute Mer ne sont quant à elles soumises à aucune souveraineté ni juridiction étatique. Le principe de « liberté de la Haute Mer », qui permet à tous (y compris les ressortissants de pays non côtiers) de prélever des ressources sans avoir à rendre de compte à personne, est défini dans la CNUDM. Cette totale « liberté » interroge et inquiète aujourd’hui les pays soucieux de préserver la biodiversité et la vie marine.

C’est pourquoi, depuis 2018, ce principe est remis en cause, et la protection des ressources génétiques prélevées en Haute Mer est discutée au sein de l’ONU. Les pays membres y négocient les termes d’un traité juridiquement contraignant, afin de mettre en place une instance de contrôle pour empêcher l’exploitation sans partage de ces ressources et un système de partage des avantages juste et équitable, y compris avec les pays non-côtiers. De nombreuses questions restent en suspens : ce partage doit-il être obligatoire ou volontaire ? Monétaire ou non ? Qui doit en bénéficier, puisqu’il n’y a pas de « fournisseurs » de ces ressources mais seulement des utilisateurs et des non-utilisateurs ?

Un des axes de ce traité en discussion vise également à augmenter le nombre d’aires marines protégées (AMP). Ces aires marines, d’une surface relativement modeste, permettent à certains Etats volontaires de gérer et protéger les ressources naturelles qui s’y trouvent. Il en existe à ce jour 17828, mais cela ne représente « que » 7,65% de la surface de la mer (cf. leur liste). Certaines activités y sont limitées, voire interdites, pour répondre à des objectifs spécifiques de conservation, de protection de l’habitat, de suivi de l’écosystème ou de gestion des pêcheries. Pour autant, il n’est pas nécessairement interdit d’y prélever des échantillons à des fins de recherche. Si une ressource que vous comptez utiliser a été prélevée dans une de ces AMP, il convient de vous renseigner au sujet des conditions d’exploitation auprès de l’Etat qui en assure la gestion.

Application de ces principes aux ressources prélevées au large des côtes françaises

La France possède un patrimoine maritime exceptionnel : grâce à la côte maritime de sa métropole et ses nombreux territoires d’outre-mer, elle a la chance de posséder le second espace maritime du monde, couvrant plus de 10 millions de km2. La France est aussi le seul pays au monde à posséder des récifs coralliens dans trois océans.

La loi française n°2016-1087 implémentant le Protocole de Nagoya en France (ci-après « loi n°2016-1087 d’APA ») régule l’accès à toute composition génétique ou biochimique issue d’organismes aquatiques ou terrestres prélevés dans les zones « sous souveraineté ou sous juridiction » française (Art L.412-5 du Code de l’Environnement). Comme expliqué dans notre article du 28 octobre 2020, cette loi s’applique également aux ressources prélevées dans les départements et régions d’outre-mer (DROM), ainsi qu’à Saint-Martin, Saint-Pierre et Miquelon, et sur les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF)3.

Selon l’ordonnance n°2016-1687 du 8 décembre 20164, toute ressource marine prélevée dans les eaux territoriales (zone 1) ou dans la colonne d’eau située dans la Zone Economique Exclusive (zone 2) est sous « juridiction française » et donc concernée par la loi n°2016-1087 d’APA. Une telle ressource devra donc faire l’objet d’une Déclaration ou d’une Demande d’Autorisation auprès du Ministère de l’Environnement (MTE) (cf. notre article du 15 février 2018), avant de pouvoir être utilisée à toute fin que ce soit.

A noter également que la France a mis en place de nombreuses aires marines protégées (AMP) aux appellations multiples (parcs naturels marins, parcs nationaux, réserves naturelles, parcs naturels) dans lesquelles les prélèvements sont tout simplement interdits. Leur liste est disponible sur le site du MTE.

Les ressources génétiques prélevées dans le sol du plateau continental jusqu’à 200 milles des côtes de ces départements et régions d’outre-mer (zone 3) sont également concernées par la loi n°2016-1087 d’APA. Au-delà de cette zone, la législation varie en fonction de la localisation du prélèvement : la France a en effet obtenu en 2015 l’extension de ses droits d’exploitation au large de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane française, de la Nouvelle-Calédonie et des îles Kerguelen et en 2021 au large des îles de La Réunion et de Saint-Paul et Amsterdam (Terres australes et antarctiques françaises). Les ressources génétiques prélevées dans le sol au-delà de la limite des 200 milles peuvent donc être concernées par la loi française d’APA au large de ces îles. Le cas échéant, leur utilisation doit être déclarée ou autorisée par le Ministère de l’Environnement, comme toute ressource prélevée sur l’île en question. Les informations relatives aux limites du plateau continental actuellement en vigueur pour la France sont recensées sur le site du programme EXTRAPLAC et sur le site du gouvernement.

Ces dispositions permettent à la France de préserver ses droits sur de vastes surfaces de sol sous-marin, et d’y assurer la protection des ressources génétiques qui s’y trouvent, si leur exploitation n’est pas souhaitée.

En conclusion, il convient de retenir qu’à l’heure actuelle, l’accès aux ressources génétiques prélevées dans l’eau de mer est soumis soit à la législation de l’Etat côtier, soit à aucune législation, en fonction de la localisation du prélèvement de l’échantillon contenant la ressource par rapport à la côte. Pour les ressources génétiques issues du sol sous-marin, il est également important de savoir si le prélèvement a eu lieu dans le plateau continental, éventuellement prolongé, ou dans le plancher océanique…

La localisation géographique (coordonnées GPS à l’appui) et la date du prélèvement sont donc, comme toujours lorsque nous analysons les dispositions juridiques liées à l’application du Protocole de Nagoya ou des lois nationales afférentes à l’APA, deux données indispensables à obtenir et à conserver (au moins pendant 20 ans !), pour savoir quelle disposition s’applique et à qui se référer. Et ce, malgré l’existence de courants marins, parfois violents, qui peuvent évidemment rendre cette localisation assez fluctuante !

Le Groupe de Travail Biodiversité de REGIMBEAU se tient à votre disposition pour évaluer au cas par cas les vérifications à faire, ainsi que les démarches à initier dans le cadre de l’utilisation de vos ressources génétiques prélevées en France ou à l’étranger, qu’elles soient d’origine marine ou non.

1  Vierros M. et al. ASLO 2016
2 La CNUDM a été signée en 1982, à une époque où les recherches étaient concentrées sur les carburants et ressources minérales, non génétiques… Elle couvre nominativement les ressources « solides, liquides et gazeuses ».
3 La Loi n°2016-1087 ne s’applique cependant pas aux ressources prélevées dans les eaux et le sol sous-marin de Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, l’île de Saint-Barthélemy ou de Wallis-et-Futuna. Pour vous assurer de la conformité de votre projet aux dispositions locales dans ces îles, il convient de contacter les autorités compétentes locales, car des réglementations APA spécifiques y ont été mises en place.
4  L’ordonnance n°2016-1687 délimite les espaces maritimes relevant de la souveraineté ou de la juridiction de la République Française (transposition dans le droit français de la Convention de Montego Bay, ratifiée par la France en 1996).

Publié par

Gabrielle Faure-André, Ph.D

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Gabrielle Faure-André, Ph.D

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